CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Fritz LANG
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M le maudit (M) All. VO N&B 1931 110' ; R. F. Lang ; Sc. Thea von Harbou, F. Lang, Paul Falkenberg, Emil Hasler, Adolf Jansen d'après un article d'Egon Jacobson ; Ph. Fritz Arno Wagner ; M. Peer Gynt de Grieg ; Pr. Nero Film ; Int. Peter Lorre (Frantz Becker), Otto Wernicke (le commissaire Lohmann), Gustav Gründgens (le chef de la pègre), Ellen Windmann (Mme Beckmann), Inge Landgut (Elsie Beckman).

   À Berlin, la petite Elsie subit le sort des huit fillettes déjà assassinées par le psychopathe Frantz Becker. En déployant l'arsenal des grands moyens, la police indispose la pègre, d'autant que l'enquête - pourtant sur la bonne voie - semble traîner. Elle décide donc, la pègre, de prendre l'affaire en main. Le syndicat des mendiants est chargé de surveiller toutes les fillettes de la grande cité. Sifflant le fameux air de Grieg, le meurtrier est reconnu au passage par le marchand aveugle qui lui avait vendu le ballon destiné à Elsie. L'alerte est donnée. Comprenant qu'il est traqué en découvrant le M imprimé à la craie sur son dos par un passant, Becker se réfugie dans un bâtiment administratif. Le soir venu, les truands le débusquent en ratissant l'édifice après avoir ligoté les gardiens. Avant l'arrivée de la police, alertée par un gardien qui échappe un instant à leur surveillance, ils le transfèrent dans une fabrique désaffectée devant un tribunal "populaire" composé de criminels. Informée par ruse auprès d'un retardataire ramassé sur les lieux, La police arrive à temps pour soustraire le coupable à un acte de justice expéditive.

   Le récit adopte un tour documentaire. L'angle dominant est la plongée, donnant la sensation d'une observation méthodique comme sur une carte géante. Le montage illustre les étapes de l'enquête policière par des documents commentés en voix off par les policiers. Mais en parallèle, il met en valeur le pragmatisme de la pègre. Alors que la police procède par déduction, sur la base d'indices relevés sur un large champ, la pègre va directement au charbon. Aussi conclut-elle son enquête la première.
   Cette opposition recouvre celle du Droit et du Talion. La police avance prudemment tout en recueillant toutes les informations qui permettront un jugement légal. Les criminels n'écoutent que leur intérêt d'abord : pouvoir continuer à exercer, puis leur jugement n'est inspiré que par des sentiments. L'assassin se défend pitoyablement en invoquant l'impossibilité de faire autrement. Et même l'avocat qu'on lui commet pour un simulacre de justice se prend au sérieux et plaide l'irresponsabilité. L'assistance éclate de rire. Des femmes hurlent qu'il faut se mettre à la place des mères qui perdent leur enfant, argument populiste connu. Le droit triomphe au seul dénouement : la police vient "protéger" le meurtrier.
   Lang a le mérite de laisser le spectateur juge. Il s'en tient au psychopathe terrorisé par un public impitoyable et à la conclusion du récit, factuellement en faveur du droit. Il se moque même un peu de la police : vision ironique de l'imposant commissaire Lohmann en contre-plongée les jambes écartées dégageant la bosse du sexe. C'est aussi un document sur la société et ses classes que caractérisent des parlers et comportements propres, avec de belles scènes de groupes en intérieur, bien enfumées.
   La dernière séquence dans une cave abandonnée reconstitue l'ambiance des sociétés secrètes. Un travelling latéral parcourt l'assistance - nul ne fume - occupant tous les recoins du fond mais bien délimitée au premier plan par la barrière du tribunal : paradoxe de chaos et d'ordre constituant par ailleurs une des données imaginaires les plus intéressantes du film. L'expressionnisme des visages participe du mélange des genres hérité du muet mais parfaitement à sa place. Les roulements oculaires de Peter Lorre sont pathétiques de participer d'une esthétique qui possède ses propres frontières de genre.
   Le montage y contribue en jouant moins de la continuation que de la juxtaposition : lorsque le commissaire fait accroire par ruse à son prisonnier qu'un des gardiens a succombé, un plan d'insert présente ledit gardien festoyant devant une table pantagruélique. Juxtaposition agrémentée de quelques glissements elliptiques. Ainsi, tandis que la fabrique abandonnée est désignée par l'informateur malgré lui, une série de photos du lieu défilent, la dernière ouvrant la séquence du tribunal.
   En l'absence de commentaire musical, les bruitages : pas, sifflements, etc., jouent un rôle dramatique éminent (avec toutefois des réverbérations de studio), ce qui est beaucoup plus intéressant. Dommage que la diction de ce premier parlant de Lang soit un peu forcée.
  Quoi qu'il en soit, un des films les plus importants des débuts du "parlant" et, de loin, le meilleur de Lang, au point d'entraîner la surestimation de la production d'ensemble. 22/08/02 Retour titres