CINÉMATOGRAPHE 

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Kenji MIZOGUCHI
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Les Contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu Monogatari) Jap. VO N&B 1953 96', Lion d'argent, Venise, 1953 ; R. K. Mizoguchi ; Sc. Matsutaro Kawaguchi, Yoshikata Yoda, d'après deux nouvelles tirées de Ugetsu Monogatari de Ueda Akinai (1776) ; Ph. Kazuo Miyagawa ; Lum. Ken'ichi Okamoto ; Son Iwao Otani ; Mont. Mitsuzo Miyata ; Déc. Kisaku Ito ; M. F. Hayasaka ; Pr. Masaichi Nagata/Daiei ; Int. Machiko Kyo (Wakasa), Masayuki Mori (Genjuro), Kinuyo Tanaka (Miyagi), Sakae Ozawa (Tobeï), Mitzuko Mito (Ohama), Kikue Mori (la gouvernante de Wakasa).

   Au
XVIe siècle, sous la guerre civile, Genjuro le potier et son beau-frère Tobei vivent paisiblement dans un petit village avec leurs épouses Miyagi et Ohama. Les poteries se vendent bien à la ville depuis que la guerre fait marcher les affaires et Genjuro veut faire fortune. Miyagi l'assiste tout en le prévenant contre l'ambition. Il propose contre son aide un tiers des bénéfices à Tobei, qui ne rêve, lui, que de devenir samouraï. Tous les quatre partent pour la ville avec le petit garçon de Genjuro, mais en raison des dangers de la guerre, prennent à travers le lac Biwa où ils croisent une barque à la dérive transportant un pêcheur mourant qui les met en garde contre les pirates. Par prudence, Miyagi est débarquée avec le petit, mais Ohama veut surveiller son mari.
   Au marché, une princesse d'une grande beauté appelée
Wakasa passe une grosse commande au potier, à livrer au manoir. Ce qu'il fait pendant que Tobeï cherche les moyens de réaliser son rêve. Des soldats tombant sur Ohama restée seule à l'attendre la contraignent à se prostituer près d'un monastère pendant que sont débitées des prières à Bouddha. Quant à Tobeï, il vole la tête d'un général qui s'était fait décapiter pour sauver son honneur, et la présente au général de l'autre camp. La récompense étant au choix, Tobeï demande un cheval, une armure et une escorte de soldats : tout le monde le prend pour un grand samouraï. Sur la prière des hommes on fait halte dans une maison de plaisirs au fond de laquelle il retrouve Ohama, qui le fera renoncer aux armes pour la quiétude du foyer.
   Entre-temps, la princesse Wakasa recevant Genjuro, vante la beauté raffinée de sa poterie, puis fait déclarer par sa gouvernante son intention de l'épouser. Le nouvel époux vit dans le luxe et la
volupté, se gardant bien de mentionner l'existence de son fils et de sa femme légitime, laquelle est déjà à son insu dans l'autre monde, ayant été massacrée en chemin par un soldat. Mais un prêtre bien intentionné inscrit sur le corps de l'homme des prières de Bouddha qui dissipent l'enchantement : Wakasa était un fantôme. Genjuro se retrouve au milieu des ruines du manoir de Kitsuki.
   Il retourne le soir chez lui où l'attendent sa femme et son fils. Miyagi coud à son chevet jusqu'à l'aube, mais au matin elle est introuvable. Le chef du village annonce à Genjuro qu'elle est morte et qu'il s'est occupé de son fils depuis. C'était donc encore un fantôme, dont la voix continue de parler au potier pour être à ses côtés et l'encourager dans son industrie.

   Démonstration morale en règle comme il ne s'en trouve que dans les nouvelles : quand le bonheur est au foyer, les hommes ont des ambitions démesurées à l'extérieur. Le désordre de la guerre civile en déstabilisant les structures, en offrant des opportunités et en abattant les barrières morales, dope cette tendance. De se heurter au réel, la quête des deux hommes les conduit finalement à la sagesse.
   Cependant l'enjeu se complique de ce que la frontière entre la vie et la mort n'est point étanche comme on le croit en Occident, et à l'instar du monde des vivants, il y a dans celui des morts des alliances fastes ou néfastes. Genjuro trouve l'apaisement complet en passant de l'une à l'autre.
   Un des atouts est ici ce côtoiement de la mort qui donne tout son prix à l'accomplissement ici-bas et entraîne les meilleures figures du film. En traversant le lac brumeux ils croisent une
barque occupée par ce qu'ils prennent d'abord pour un fantôme, dans une lumière lugubre qu'accroissent les percussions funèbres rythmant le beau chant mélancolique de la rameuse.
   La princesse Wakasa se distingue de façon inquiétante dans la foule par la lenteur solennelle de ses mouvements. La mort se signale ensuite par les ombres projetées sur des parois dans le trajet du manoir, qu'accompagne une musique plaintive avec tambours et contrepoint de crécelles. À l'intérieur du manoir, la voix sépulcrale de l'âme du défunt père coïncide avec le cadrage dans la pénombre d'un poêle évoquant un masque funèbre. Genjuro se trouve projeté dans un monde totalement invraisemblable, comme en rêve. L'entrée du manoir envahie par les hautes herbes laisse pressentir une
anomalie. À Kitsuki, tous les déplacements en intérieur sont ponctués de tintinnabulis suggérant un dialogue avec l'au-delà.
   Malgré la qualité de la photo cependant, la valeur artistique du film, beaucoup plus que sur la création filmique, semble reposer sur l'âpreté des timbres, le lyrisme déchirant des modulations et les rythmes syncopés des percussions d'accompagnement. On peut même regretter dans la première partie, le climat faux du décor extérieur quand les sons hypothèquent la crédibilité du film lui-même en se réverbérant aux plafonds du studio. 15/08/04
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