CINÉMATOGRAPHE 

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Josef von STERNBERG
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L'Impératrice rouge (The Scarlett Empress) USA VO N&B 1934 105' ; R. J. von Sternberg ; Sc. Manuel Komroff d'après les "Carnets" de Catherine de Russie ; Ph. Bert Glennon ; Déc. Hans Dreier ; M. W. Franke Harling (Tchaïkovski, Mendelssohn, Wagner) ; Pr. Paramount ; Int. Marlène Dietrich (Sophie-Frédérique d'Anhalt, Catherine II), John Lodge (comte Alexei), Sam Jaffe (le grand-duc Pierre), Louise Dresser (l'impératrice Elisabeth Romanov), Maria Sieber, la fille de Marlène Dietrich (Sophie-Frédérique enfant), C. Aubrey Smith (prince August), Ruthelma Stevens (comtesse Elisabeth), Gavin Gordon (Orloff), C. Aubrey Smith (le prince August d'Anhalt).

   En 1744, une petite princesse prussienne appelée Sophie épouse, sous le nom de Catherine, le grand-duc Pierre, neveu de l'impératrice Elisabeth à laquelle importe surtout la ponte d'un héritier. L'époux est un illuminé préférant jouer aux petits soldats et se passionner pour les exécutions capitales dont il met en scène des simulacres miniatures que de se livrer aux exercices concrets pour la descendance. Mais Catherine prend des amants : la dynastie est sauvée. À la mort de l'impératrice le grand-duc monte sur le trône. Catherine qui a, grâce à ses charmes, gagné l'armée à sa cause prend le pouvoir. Pierre est assassiné par le fringant capitaine Orloff, l'amant en titre. On célèbre en grandes pompes le coup d'État.
   
   Dans une Russie mythique de barbarie, illustrée par des décors gigantesques, effrayants et
compliqués, Dietrich incarne avec brio successivement deux caractères opposés. La jeune aristocrate immigrée aussi naïve voire sotte que soumise, et la chaude amoureuse éclectique à tête politique, future Catherine II.
   Visiblement aussi ligoté par les intérêts financiers de la Paramount que fasciné par son actrice fétiche, Sternberg ne devient inventif que dans l'érotisation de la star, par les jeux d'éclairages ou contre-jours, d'ombre et de
lumière, et les effets de transparence au moyen de faux obstacles de voiles ou de gaze interposés, invitant au déchirement physique du tabou.
   Certaines inspirations, sur la base de très peu de choses, sont à cet égard dignes du grand artiste par ailleurs écrasé par l'excès de moyens. On voit par exemple, pendant la cérémonie de son mariage, naître le désir de la jeune femme à la vue du comte Alexei, par les effets de son souffle sur la flamme de la chandelle du cérémonial se couchant jusqu'à presque
s'éteindre, pour renaître avec la phase d''inspiration.
   Des figures fort imaginatives donnent vie au thème de la sensualité. Humiliée de voir le comte Alexei invité dans la couche d'Elisabeth, Catherine piétine sur le tapis de fourrure (pourtant amortisseur) le portrait en médaillon qu'il lui a offert. Puis l'objet écrasé sort du champ. Reste un coin de fourrure évoquant le
pubis vacant, frustré et vengeur (il l'aura sa petite vengeance).
   Un magnifique raccord au début figure le rôle déterminant du sexe et de la politique dans le destin de l'héroïne. La cruauté slave est illustrée entre autres par le supplice consistant à remplacer le battant d'une cloche par un homme qui s'écrase sur les parois d'airain. Le plan suivant cadre Sophie, qui n'est pas encore Catherine, faisant de la balançoire face à l'objectif, de sorte que ses dessous bouchent l'écran lors même qu'ils se
dévoilent. Dans un avatar ludique de cette figure, Catherine en rendez-vous secret s'agrippe à un cordage de l'écurie et se balance en se contorsionnant en tous sens jusqu'à perdre l'équilibre et tomber dans le foin, jambes en l'air offertes au comte.
   Le pittoresque des rôles (le visage de John Lodge réduit au masque mobile du
dément, Sam Jaffe en grand ambassadeur impérieux et sauvage) et le grandiose apocalyptique des décors de Hans Dreier, sans compter le piment musical, imposent aux ressources artistiques de l'auteur de Docks of New York, un régime hystérique. Mais globalement, l'incontestable talent émerge. Voyez les chevaux pénétrer en masse à l'intérieur du palais puis la série des surimpressions lyriques de la dernière séquence en apothéose. Il y manque pourtant le feu sacré. La démesure des décors n'est que décorative. La barbarie est d'un exotisme facile avec relent de mépris sans risque pour un pays mythifié. Les soubassements éthiques ne peuvent d'ailleurs qu'être faibles à célébrer chose aussi futile que la gloire d'un personnage réduit à l'aspect romanesque, ce qui revient à faire s'admirer le film lui-même. 16/07/05 Retour titres