CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Frank CAPRA
Liste auteurs

L'Homme de la rue (Meet John Doe) USA VO N&B 1941 117' ; R. F. Capra ; Sc. R. Riskin ; Ph. G. Barnes ; M. Dimitri Tiomkin ; Pr. F. Capra/Warner ; Int. Gary Cooper (Long John Willoughby), Barbara Stanwyck (Ann Mitchell), Edward Arnold (D.B. Norton), Walter Brennan (Colonel), James Gleason (Henry Connell), Spring Byington (Mrs Mitchell).

   Licenciée pour cause de restructuration, la journaliste Ann invente un personnage nommé John Doe qui, dégoûté du monde, annonce son suicide pour Noël dans une lettre qu'elle fait passer en publication. Le public réagit si bien qu'Ann parvient à se faire réintégrer en proposant de donner vie à John Doe pour alimenter une rubrique à succès. Un clochard affamé, Long John Willoughby, accepte le rôle pour un
repas et cinquante dollars, à condition qu'on fasse une place à son copain Colonel. Soutenu par D. B. Norton, le grand patron, qui pour cela augmente Ann, John Doe donne des conférences improvisées sur la fraternité et l'espoir. le succès est tel qu'il se fonde des clubs John Doe dans tout le pays.
   Mais Norton avait une idée derrière la tête : utiliser la popularité de John Doe pour gagner la Maison Blanche. Il fait rédiger à Ann dans ce dessein la prochaine conférence de Doe. Sous une pluie battante, celui-ci tente en vain de dénoncer la machination à un parterre de
parapluies. Il en est empêché par la police au service de Norton qui, prenant le micro, le dénonce comme imposteur. Désespéré en raison surtout de la trahison d'Ann, John décide de se sacrifier en accomplissant l'annonce de la lettre pour que son message d'espoir frappe les consciences. Le soir de Noël tout le monde surveille le gratte-ciel désigné pour le saut dans le vide. L'équipe de Norton s'embusque au dernier étage pour empêcher ce qui compromettrait ses plans. John déjouant les surveillances et sourd au discours de Norton est sur le point de sauter quand Ann survient malgré la fièvre qui la terrasse. Elle déclare son amour et s'évanouit dans ses bras. En même temps, des fidèles des clubs John Doe qui s'étaient démis à la suite de la dénonciation se sont ravisés et surgissent pour assurer de leur fidélité. C'est amplement suffisant pour que le héros renonce à quitter ce monde. Les cloches de Noël sonnent à la volée. 

   Grâce à la poésie et à la subtilité du scénario servies par le charme de Gary Cooper
(
Galerie des Bobines), qui compose une remarquable figure de clochard christique à la fois timide et déterminé mais surtout joueur de base-ball, ce qui ne peut que lui attirer la sympathie d'un public ad hoc, les idées les plus pernicieuses se frayent tranquillement leur chemin.
   On pourrait croire tout d'abord à une satire de la manipulation des foules inspirée par l'Allemagne hitlérienne. Corroborées par un neveu sanglé dans un uniforme de style
fasciste, les lunettes non cerclées et fréquemment essuyées de Norton font figure de monocle à la Nazi. Mais ces bons sentiments politiques s'avèrent dissimuler le mépris à l'égard d'un peuple stupide et moutonnier, prêt à se prosterner devant le premier gourou venu. La métaphore du Christ permet de réduire la cause des injustices économiques et sociales à la transgression du deuxième commandement selon Matthieu : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même".
   Davantage, en prêchant la marginalité, le personnage de Colonel sous les traits du vieux sage Walter Brennan (qui n'avait encore que 47 ans) affirme que les inégalités sont fatales. Il y a, du reste, dans l'ensemble quelque chose de dogmatique dans la façon de diriger le spectateur. Ainsi, pour qu'il ne perde pas confiance en elle, on fait habiter Ann chez sa mère avec deux petites sœurs et un gentil
toutou qui met ses brouillons au panier.
   Le public selon Capra pourrait en effet douter des qualités morales d'une jeune femme seule. Du coup le beau thème de la Belle et du Clochard perd de sa crédibilité, car la vérité est indivisible, n'est-elle pas ? Dommage car la dernière séquence est traitée plastiquement comme un vrai conte de Noël.
   Dans le décor neigeux féérique où percent des figures de regards
magiques, la belle à bout de force surgit au somptueux attique à colonnes du gratte-ciel, couverte en hâte d'un manteau et, telle que son amoureux l'avait rencontrée en rêve, en chemise de nuit comme une princesse en robe longue.
   Un film de plus mené de main de maître, dont les présupposés discutables ruinent tout intérêt artistique. 11/04/04 
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