CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Robert CAHEN
Liste auteurs

L'Étreinte 2003 8' 50'' ; R. R. Cahen ; Eff. sp. Bernard Bats ; Mont. Thierry Many ; M. Francisco Ruiz de Infante "Autour de la terre" ; Pr. Boulevard des productions. 

   Noir, accompagné d'un effet sonore de souffle continu bientôt ponctué de signaux intermittents comme d'un appareil médical. Troisième couche sonore se superposant aux deux premières, une respiration caverneuse évoque un mécanisme d'assistance respiratoire. La pente d'un massif montagneux grisâtre s'ordonne à une diagonale du cadre. Comme rongé de noir à la base, couvert d'arbres sur lesquels passe un voile brumeux, il se colorise lentement. En plan plus serré, il se décolore à nouveau puis se transforme par fondu en une main en gros plan, crispée sur un drap et ordonnée à l'autre diagonale du cadre.
   L'accompagnement sonore se mue en un bruit strident et continu de scie circulaire. Au plan suivant, à contre-jour, une mouette bat des ailes en plein vol en plan serré et contre-plongée dans la partie gauche du cadre. Elle vire sur sa droite et disparaît hors-champs. Cut. Un bras féminin occupe la diagonale opposée à la précédente. Il semble se décharner en se dédoublant. En très gros plan, un visage féminin renversé occupant la zone du coin supérieur gauche du cadre émerge d'un magma instinct tandis qu'à l'opposé en diagonale une main qui se crispe fait pendant.
   Les éléments ne cessent de se transformer en se défaisant par l'effet de superposition de la même image sous divers angles. Sensation de déhiscence de la chair puis de décollement d'un masque de peau au milieu de lambeaux macabres en formation. Puis le visage vivant exprimant la jouissance du corps réémerge du puzzle anamorphosique. D'autres transformations du même ordre s'effectuent sur le profil féminin en très gros plan et comme radiographié à plusieurs angles de faible écart mutuel sur la même image. Retour du plan de la mouette avant émergence de la configuration qu'on peut considérer comme centrale et qui se démêle progressivement de l'écheveau des lignes sur jeu mobile d'interpénétration des noirs et des blancs : un dos d'homme nu recouvrant avec la moitié droite du cadre le corps nu de la femme dont émerge à droite de la diagonale descendante la tête et les bras enserrant les épaules.
   Suivent de multiples variations sur cette base où l'on peut noter l'apparition stridente de l'effet sonore de scie circulaire. La tête est renversée et animée de secousses latérales au ralenti. Dents visibles à travers les lèvres (comme d'un vampire) et doigts se dissolvent et se solidifient, se décharnent et se regarnissent. La mouette fait une dernière apparition. Un pénible bruit de compresseur accompagne les métamorphoses de la chair. À d'autres moments le jeu des surimpressions s'offre comme décomposition chronophotographique. Tout se résout dans le dernier plan en un tapis de hautes herbes couchées plein cadre, ordonnées à la diagonale ascendante.
   L'étreinte au sens purement physique du terme, ne dit rien de ce qui étreint l'âme. C'est pourquoi l'inévitable scène de lit, exposée sous toutes les coutures, du dernier chef-d'œuvre sorti en salle n'est que mensonge (à fins commerciales). Elle ne fait que tenir la représentation épidermique du corps pour matériau de base de son projet. Or le corps humain dans sa vérité profonde est solidaire d'un esprit lui-même indivisible et tributaire de la condition humaine.
   Par ailleurs, à retenir le thème de l'étreinte, celui-ci ne peut être vraiment développé que par un participant ou un témoin. Pour peu que l'on recherche l'être et non l'apparence, il faut que le thème comme émergence d'une totalité ontologique rencontre un esprit qui s'en empare afin de rendre compte de son mystère à travers une sensibilité particulière. Ce qui est impossible à la représentation.
   Seule la poésie, modalité sensorielle et émotionnelle du langage y est apte, à savoir, ce qu'offre de liberté le support physique travaillant le langage. La vidéo contrairement au cinéma n'est pas seulement un outil de capture de traces du réel. C'est aussi un moyen pour traiter librement de l'image et du son enregistrés.
   Autant qu'à l'extase amoureuse, cette étreinte renvoie à la crispation du dernier souffle. Notamment, agrippées convulsivement aux épaules de l'homme, par le jeu des dédoublements de la surimpression, les mains évoquent l'image radiographique de leur substrat osseux. Cette équation métaphysique où se rejoignent les extrêmes de la vie et de la mort semble trouver l'expression de son paroxysme dans le crissement lancinant de scie circulaire, dans le ronflement cauchemardesque du compresseur.
   C'est donc de la collision entre éléments
a priori étrangers les uns aux autres, relatifs au désir, à l'érotisme, à la maladie, à la torture physique, à la mort, mais à la paix des sens, qu'émane la vérité poétique, affirmant l'unité de l'Être, à l'encontre de la pensée rationnelle, qui ne sait que le distribuer en catégories séparées.
   Ce qui suppose une construction rigoureuse tenant au cadrage (par exemple, ordonnancement aux contraintes géométriques du cadre), au montage (voyez la façon dont la composition diagonale alterne), à la mise en place précise du dialogue entre image et son. 15/03/07
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