CINÉMATOGRAPHE 

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Mikhail ROMM
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Les Treize (Trinadsat) URSS VO N&B 1936 85' ; R. M. Romm ; Sc. Iosif Prout et M. Romm ; Ph. Boris Voltchek ; M. Anatole Alexandrov ; Pr. Mosfilm ; Int. Ivan Novoseltsev (le commandant), Elena Kousmina (son épouse), Alexandre Tchistiakov (le géologue), Andrei Fait (le lieutenant-colonel Skuratov), Ivan Kousnetzov (Aksurine), A. Dolinine (Rimoskine), Pietr Massokha (Sviridenko), I. Loudine (Petrov).

   Inspiré, tout comme
Sahara de Zoltan Korda (1942), de La Patrouille perdue de John Ford (1934) ce film commémore le vingtième anniversaire des combattants de 1917. La propagande n'empêche pas une liberté plastique peu commune.

   Onze soldats démobilisés et deux civils, un vieux géologue et l'épouse du commandant, traversent à cheval un désert de l'Asie centrale. Assoiffés en raison du sabotage des puits, ils tombent par hasard sur une ruine dont le puits presque à sec dissimule des armes appartenant à des rebelles antirévolutionnaires vainement traqués auparavant toute une année. Bien que nettement inférieurs en nombre, ils leur tendent un piège, déclarant par le canal des émissaires détenir des réserves d'eau inépuisables, qu'ils sont prêts à échanger contre la reddition. Les rouges s'apprêtent à soutenir le siège à l'aide des mitrailleuses trouvées sur place, pendant que leur meilleur cavalier est chargé d'alerter les secours à cinq jours de désert. Mais le cheval succombe. Les autres tombent un à un sous les balles ennemies. Une patrouille découvre le messager presque mort de soif. Les secours arrivent in extremis pour sauver le dernier survivant d'un ultime assaut. Il est félicité et les victimes font l'objet d'un patriotique éloge posthume.

   L'inaltérabilité caractérise ces héros toujours frais et rasés de
près (sans eau !) dans l'enfer de la fournaise et du fracas, comme une statuaire réalistes-socialistes. Les hommes qui tombent sont aussitôt remplacés sans pathos, comme il se doit lorsque le collectif transcende l'individuel. La seule compagne du soldat est la baïonnette, que la femme ne peut égaler que par plaisanterie, à moins qu'il ne s'agisse de celle du commandant, une sainte patriote capable de concilier l'amour des autres avec celui de la politique qui les sacrifie. Quant aux ennemis, ils sont impitoyablement exclus de l'humanité honnête par des effets de lumière réservés aux méchants.
   En tant que discours figé, cette idéologie d'État sous-jacente est totalement dissociée d'une plastique de l'image étrangère à toute soumission. D'où le formalisme, inévitable à chaque fois qu'il y a divorce entre éthique
(1) et esthétique. On admirera néanmoins la façon dont le cadrage brise l'ordre cognitif et en ordonne les éléments redéfinis à une géométrie du monde filmique : que l'action se déroule à l'intérieur d'une mince bande rejetée tout en haut de l'écran, que la diagonale du cadre se confonde avec la pente dévalée par les cavaliers ou bien que l'image soit composée en 2D (composition quadratique).
   Le traitement symbolique
(2) donne à la métonymie la préférence sur la représentation (3) analytique, ce qui permet de pointer des choses non fonctionnelles : on ne voit pas les chevaux mais des portions d'ombres portées ectoplasmiques, qui semblent vouées à s'absorber dans le sable. L'imagination filmique génère en outre des figures pathétiques inouïes. L'un qui tombe foudroyé pendant qu'il enlevait sa vareuse semble n'être plus qu'un vêtement vide comme un fantôme. Une autre victime que désaltère un camarade est déjà dans l'autre monde. Le vif verse alors à flot le précieux liquide sur le visage du mort comme s'il pouvait ainsi lui communiquer la vie.
   On conçoit bien que Romm ait pu être au VGIK (école de cinéma de Moscou) le professeur estimé de Tarkovski. 22/08/03
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