CINÉMATOGRAHE 

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Christine PASCAL
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Le Petit prince a dit Fr. 1992 106' ; R. C. Pascal ; Sc., Dial. C. Pascal, Robert Boner ; Ph. Pascal Marti ; Son Dominique Vieillard, Jean-Pierre Laforce ; Mont. Jacques Comets ; Mus. Bruno Coulais ; Pr. Robert Boner, Emmanuel Schlumberger ; Int. Richard Berry (Adam Leibovich), Anémone (Mélanie), Marie Kleiber (Violette), Lucie Phan (Lucie).

   Enfant du divorce, Violette est atteinte à l'âge de dix ans d'une tumeur au cerveau inopérable. Adam, le papa chercheur en médecine, surprend la sentence à l'hôpital. Il fuit éperdument avec sa fille sur les routes et, lui faisant franchir clandestinement à pied la frontière italienne par les Alpes, la reprend de l'autre côté. Ils gagnent Milan pour assister invisibles à une répétition de Mélanie, la maman comédienne. Elle est interrompue sur scène par un coup de téléphone annonçant le verdict. Le choc éprouvé par la mère se répercute sur la fille qui, sans connaître la teneur du message, quitte brusquement le théâtre. Son père la rattrape et ils poursuivent leur errance. Ayant pressenti la vérité, Violette questionne son père, qui lui explique sa maladie avant de fondre en larmes. Sur le souhait de la petite malade ils gagnent la maison familiale dans le midi de la France où, sans qu'on se soit donné le mot, Mélanie bouleversée les a précédés assistée de Lucie, la compagne d'Adam. Spontanément, pour implicitement accompagner l'enfant dans la mort, un rapprochement s'opère qui entraîne l'exclusion de Lucie. La fillette épuisée par le conflit s'endort sous les yeux de ses parents. La couleur fait place au noir et blanc puis le portrait se dissout dans un fondu au blanc.

   Récit initiatique engageant à la fois les personnages et le spectateur. La comptine de référence égrene les jours d'un calendrier indéterminé, repoussant indéfiniment une échéance, qui, ici, n'en est pas moins inéluctable. La fillette doit ainsi apprivoiser l'idée de sa propre mort, ses parents renoncer à de fausses valeurs et se mûrir pour accéder au travail du deuil par anticipation tandis que le spectateur est sommé de remettre en cause les clichés dont il a été abondamment abreuvé sur la question. On a parlé de mélodrame. Certes, mais dérogeant à l'héritage du drame populaire qui confortait le public dans ses rêves d'immunité contre le malheur, lequel était maintenu dans le registre imaginaire au moyen d'une stratégie jouant sur tout le spectre des émotions par identification, et où la figure du leurre remplit un rôle éminent.
   Ici, au contraire, bien que l'empathie du spectateur soit requise avec le concours savamment réglé de la musique (mélo, du grec mélos, "chant" d'où musique), ni exhibition, ni mise en haleine ludique. Tout repose sur la suggestion et la sobriété. Par son physique ingrat de petite boulotte empotée, Violette n'invite guère à l'identification. Sa physionomie ne présente nullement les traits harmonieux auxquels, par un besoin de sublimation régressive, aspire inconsciemment tout un chacun dans le refuge de la salle obscure. Elle n'en est que d'autant mieux filmée avec tendresse, lorsque surtout, dos-caméra, des fesses rebondies débordent le maillot de bain.
   Ensuite, la mort n'est pas ici un spectacle mais une épreuve à surmonter qui conditionne la totalité de l'action. Le symbole le plus évident en est la frontière alpestre où Violette vit une expérience imaginaire qui la prépare à passer de l'autre côté du miroir. Dans un panorama ramenant à sa juste mesure l'existence humaine Papa psychopompe l'accompagne au sommet en l'aidant dans les passages difficiles puis, redescendant en sens inverse vers la voiture, la laisse livrée à elle-même.
   Les variations de grosseur traduisent l'effort en alternant aperçus de l'immensité et plans serrés en plongée précédant l'effort associé au souffle des marcheurs. Au lieu de prendre tout de suite le sentier menant à la route de l'autre côté, se sentant la tête lourde, la petite s'allonge dans les herbes folles et semble s'assoupir au milieu des bruissements du vent et des insectes, qui seuls occupent la bande-son à l'exclusion de tout commentaire musical intempestif. En donnant la sensation d'un corps qui s'abandonne, les variations d'angle et de grosseur (gros plan sur la main, rapproché épaules en plongée et plan moyen du corps...) suggèrent une immersion totale dans la nature préfigurant la mort comme moment du grand cycle. Un papillon se pose sur sa tête. Elle racontera à son père qu'après l'avoir senti s'échapper de son crâne elle s'est envolée avec lui dans une lumière blanche, laquelle s'accomplit effectivement dans le dernier plan où le noir et blanc de la photo du souvenir s'évanouit dans la blancheur croissante. À noter que le papillon est filmé comme doté d'intentionnalité. En suivant ses évolutions aériennes dans un plan serré qui laisse la fillette hors-champ, la caméra découvre celle-ci en même temps que le gracieux lépidoptère se pose sur elle.
   Au total, la force réside davantage dans les longs plans silencieux associés à l'écoute de la nature, la musique méditative, grave et tendre dans le ton brucknérien se limitant à la relance et au recentrage épisodique du registre pathétique. Accompagnant des contextes lourds de sens, ces silences meublés de rumeurs de la nature tiennent lieu de contenu de la pensée des personnages dont la caméra et la lumière mettent en valeur le regard ou l'écoute.
   Surtout, le thème de la mort enfantine ne tombe jamais dans le lugubre propre à une méconnaissance fort répandue qui tend à expliquer la mort sur la base d'une représentation de la vie frustrée par la mort. Il y a d'un côté la vie, de l'autre la mort. Et c'est pourquoi la vie de la petite condamnée est faite aussi des joies propres à son âge. Le seul lien possible entre les deux mondes est d'ordre mythologique. D'où la nature symbolique, le papillon, l'épreuve d'initiation.
   Ce n'est donc pas un film banal, mais il n'est pas sans faiblesses. Pour concentrer l'action sur le drame, les scénaristes ont choisi un monde sans histoire, où l'on vit dans l'aisance, comblé de satisfactions professionnelles et sociales. Il en résulte que le déroulement déterminé par le thème n'est sujet à nulle perturbation logique, ne connaît aucune interaction avec d'autres préoccupations, bref s'inscrit dans une causalité simpliste. De même qu'en privilégiant le rapport père-fille la représentation
(1) du monde affectif de la fillette est réductrice. Voilà peut-être pourquoi, mal à l'aise, Anémone joue faux. À l'inverse, Berry trop sûr de lui, pèche par excès de professionnalisme, face surtout au jeu parfaitement naturel de Marie Kleiber. La façon dont les deux femmes sont écartées de la scène finale paraît d'ailleurs forcée. Après la séquence lourdement affligée d'échanges de regards tendus qui s'achève avec le départ de Lucie, c'est la mise à l'écart de Mélanie qui, appuyée contre un mur à distance, observe sa fille derrière le père à son chevet. 17/10/04 Retour titres