CINÉMATOGRAPHE 

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Andreï MIKHALKOV-KONTCHALOVSKI
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Le Bonheur d'Assia (Asino stchastié) URSS VO N&B 1967 97' ; R. A. Mikhalkov-Kontchalovski ; Sc. Youri Klepikov ; Ph. Gueorgi Rerberg ; Déc. Mikhaïl Romadine ; Mont. Lioubov Pokrovkaïa ; Pr. Studios Mosfilm ; Int. Lya Sawina, Alexandre Sourine, Ivan Petrov, Lioubov Sokolova, Geniady Egorytschev. 

   Dans un kolkhoze distant du village et jouxtant un terrain militaire, Assia la boiteuse logeant pendant la belle saison sur place dans une roulotte est convoitée par Sacha, de retour après un an d'absence, mais elle aime Stiopa le camionneur dont elle est enceinte. Ponctués par les détonations du canon alternant avec les chants des oiseaux et des grillons, les travaux des champs se déroulent sous la direction d'un nabot,
président du kolkhoze. Les femmes sont plus dures à la tâche que les hommes. Souvent à la sieste, ils évoquent des souvenirs amoureux interférant avec les péripéties d'Assia.
   Éconduit, Sacha voudrait repartir mais il est retenu par le jeune Génia, son ami, jaloux comme un amant. Paradoxalement le fait de rester à cause de Génia amène Sacha à être assidu auprès d'Assia, mais en vain, bien que Stopia lui eût volontiers cédé la place. En dépression, Assia voudrait s'enfermer au
fond d'une huche. Cependant Stopia fait une crise de jalousie pour une paire de souliers à talons offerts par son concurrent à la jolie bancroche. Les douleurs de celle-ci surviennent pendant un trajet nocturne dans le camion de Stopia. Maladroitement aidée par celui qui se découvre soudain la fibre paternelle, elle accouche dans le lit d'un ravin. Au petit matin, martialement secourus, ils sont ramenés au village par un convoi militaire. L'arrivée de la saison froide annonce le départ des conscrits. Pendant la fête donnée en leur honneur, où chacun improvise chants et danses, Assia exprime son désir d'indépendance.

   Destin singulier d'une jeune femme bien de son temps, dans un contexte socio-économique donné. Distancié par le regard globalement ironique du réalisateur, le film, dont les acteurs sont pour la plupart non-professionnels, se veut aussi un document sur la vie du kolkhoze dans la trame duquel se tissent les complications amoureuses liées à la grossesse d'une jeune femme indépendante.
   La caméra s'efforce d'emblée de saisir la simultanéité des événements multiples de ce lieu de solidarité laborieuse. Le travelling latéral du générique allant découvrir dans les seigles mûrs un enfant endormi qui donne lieu à une recherche anxieuse, embraye la fiction sur la réalité du tournage annoncée. Cette recherche va se combiner avec le retour de Sacha tout en glanant le maximum d'informations. L'arrivée du visiteur est annoncée par les oiseaux en alerte quittant leur perchoir. Un plan général montre un homme chargé de bagages traversant l'aire centrale de la ferme où stationnent des machines et se dresse dérisoirement, au milieu d'un terrain nu, une porte monumentale de planches. Un travelling en plan plus serré le cadre croisant un tracteur tandis qu'au loin, en profondeur de champ, une traînée de poussière s'étirant de droite à gauche indique le chemin de retour de la navette motorisée qui l'a déposé. Entre-temps la mère du petit garçon endormi du générique scrute ce même horizon pendant qu'un homme qui, perché pour les mêmes raisons sur un poteau télégraphique dont ne se voit que la base, plonge soudain dans le cadre en glissant sur son mat de façon burlesque. Il y a donc une équivoque malicieuse entre l'enfant cherché et le visiteur observé. Enfin celui-ci approche prudemment de la roulotte tandis que le panache poudreux passé hors champ en raison du mouvement d'appareil, reprend tout au loin son avancée après avoir traversé le bord droit de l'extérieur vers l'intérieur du cadre.
   Les vaines propositions de Sacha sont empreintes de la même équivoque dès lors qu'épluchant pour l'aider les oignons de la tambouille d'Assia il essuie des larmes, qui ne doivent rien au chagrin d'amour. Enfin se décidant à lâcher prise, Sacha retourne sur ses pas où il tombe sur la mère toujours appelant son enfant. C'est lui qui ramassera le petit dormeur des seigles en le prenant dans ses bras. La première séquence se reboucle donc avec une remarquable élégance, la chute n'étant pas non plus sans rapport avec l'enfant à naître et donc avec l'enjeu amoureux. Un aspect de l'humour particulier du film revient à torturer Sacha par la convoitise déçue jusqu'à l'extravagance. Les longues confidences de ses compagnons ajoutées aux flirts alentour ne sont guère faits pour calmer son propre désir. Innocemment ou non, Assia lui donne espoir en lui faisant visiter l'isba familiale. Il en est tellement frustré qu'il vient à empoigne
r indécemment, par-derrière, une autre femme. 
   Mais la virtuosité a sa contrepartie dans la disparate lorsque trop de procédés se téléscopent. Le réalisme déploie ses longs travellings sur la campagne alentour, photographie ses champs de seigle plein cadre, ses moissonneuses en action par plans serrés (et longue focale), ses visages à contre-jour pour faire vrai, ménage de longs plans fixes sur le visage de l'interlocuteur de Sacha et abuse des plans rapprochés prélevés dans la masse humaine. Poésie et lyrisme font leur apparition, l'une sur telle belle photo du lac où frémissent à peine les barques du village amarrées en
ordre, l'autre dans des scènes exaltées comme celle de la roulotte d'Assia, sacrifiée dans un ravin pour le déménagement du kolkhoze, qui signe la fin du film par un assez facile
mimétisme.
   Réalisme documentaire, burlesque, humour, lyrisme, poésie : il faudrait plus de souffle pour orchestrer un tel jeu de registres. 17/11/04
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