CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Jean CHOUX
Liste auteurs

La Vocation d'André Carel Sui. Muet N&B 1925 85' ; R., Sc., Intertitres, J. Choux ; Ph. Charles-Georges Duvanel (extérieurs), Paul Guichard (intérieurs) ; Pr. J. Choux, Hazard-Joseph de Ruyter ; Int. Blanche Montel (Reine Lugrin), Stéphane Audel (André Carel), Camille Bert (Jean Carel), Michel Simon (Lebeau, le précepteur), Maurice Destain (Lugrin), Thérèse Reignier (son épouse), Jean Cyri (Cardan), Helena Manson (sa fiancée).

   Entouré des soins de son précepteur Lebeau, André, fils du grand écrivain français Jean Carel, repose en Suisse ses nerfs délicats. Pour approcher Reine dont il est tombé amoureux en la contemplant
endormie sur le pont d'un vapeur, il se fait engager sous le déguisement d'un trimardeur par le père de la jeune femme, le batelier Lugrin. Puis ordonne à Lebeau d'aller l'attendre dans un hôtel d'Évian, résolu à repartir pour Paris dès la certitude obtenue d'être aimé. Reine se laisse troubler sans le savoir par cet ouvrier plus fin que les autres, ce qui n'échappe pas à l'œil jaloux du collègue Cardan. Lequel, après une lutte en plein lac, envoie par-dessus bord celui qu'il avait démasqué comme bourgeois.
   Cependant, les sens alertés par l'avertissement d'un gamin et une nuit agitée de pressentiments, Reine voit depuis la rive le voilier de Lugrin immobilisé. Elle se fait transporter à bord et conduit les recherches. C'est elle qui découvre le naufragé à bout de forces. Ramené à bord, se sachant
aimé, il pardonne à son agresseur et se fait débarquer à 
Évian, au grand désarroi de la fille et du père. Justement, rassuré par la dernière lettre de son fils, Jean Carel arrive. C'est accoutré en bourgeois qu'André conduit son père de l'autre côté du lac pour la demande en mariage.

   Film si parfait qu'il tourmente d'une énigme : pourquoi pas chef-d'œuvre ?
   Avatar du roi et de la bergère, ce conte lyrique ciselé comme un joyau, exalte les bienfaits du travail manuel au grand air et l'égalité devant l'amour.
   Le montage parallèle met en circulation intense les flux émotionnels passant dans les faits de récit. Le parcours du héros est porté à l'exergue par le contrepoint du précepteur grossier. Quand l'un admire le visage, l'autre se rince l'œil sur les jambes. Le burlesque
Lebeau est, par antithèse, le plus sûr tremplin de l'amour sublime. Les choses elles-mêmes s'investissent des enjeux de l'amour. Au milieu du jeu disposé comme un échiquier, la quille que renverse rageusement Cardan tendu par le passage, monté en parallèle, de la barque des amoureux en goguette, reflète le visage de son rival. Parmi différentes grosseurs, un plan lointain en plongée ressemble davantage à une obsession, comme si l'embarcation rétrécie voguait sous son crâne migraineux.
   Et les voiliers croisant sur le lac ont la grâce d'une rencontre amoureuse indifférente aux contingences du monde. Tout cela relève du critère le plus sûr qui est le caractère ludique.
   Cependant, la plastique des images baignées de toute espèce de lumières et artistement composées sur grain
fin, la poésie littéraire des cartons associée au caractère à la fois grandiose et serin des Alpes surplombant le lac, tombe dans un esthétisme à la Gance, alors que le décor intérieur soigné, sans reliefs ni contrastes, s'inspire du Kammerspiel.
   On finit par comprendre qu'il y a plus de labeur que d'inspiration ; que l'auteur, qui n'était pas critique pour rien, a procédé en accumulant les meilleures recettes avec l'habileté diabolique du faussaire génial. Ce qui n'exclut pas une authenticité dramaturgique, soutenue notamment par une direction d'acteurs d'une grande justesse et sans les afféteries du professionnalisme. Si Michel Simon, alors dans son premier rôle, se distingue, c'est en vertu de l'inévitable regard rétrospectif porté sur l'un des grands acteurs de l'histoire du cinéma.
   En définitive le mythe l'emporte sur l'art : on s'émeut surtout de l'effacement des rapports de classe, lorsqu'en coup de théâtre agencé par un montage parallèle accéléré, père et fils débarquent en leurs beaux atours chez les modestes
bateliers. 29/05/05. 
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