CINÉMATOGRAPHE 

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Valeri TODOROVSKI
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Katia Ismaïlova Fr.-Rus. VO 1994 95' ; R. V. Todorovski ; Sc. Alla Krinistsina d'après la nouvelle de Marina Cheptounova et Stanislav Govoroukhine ; Ph. Sergeï Kozlov ; M. Leonid Dessiatnikov ; Mont. Hélène Gagarine et Alla Strelnikova ; Déc. et cost. Alexandre Ossipov ; Pr. Marc Ruscart et Igor Tolstounov ; Int. Ingeborga Dapkounaïte (Katia), Vladimir Machkov (Sergueï), Alissa Freindlikh (Irina Dmitrievna), Youri Kousnetov (Romanov). 

   Katia végète entre Mitia et Irina, son mari et sa belle-mère, écrivain célèbre, cardiaque et tyrannique, dont elle est la dactylo, voire bonniche. En villégiature dans la datcha familiale elle est séduite par Serioja le menuisier de la maison. En différant les soins elle laisse volontairement mourir d'une crise sa belle-mère. Serioja frappe Mitia à mort lors d'une altercation. Le juge Romanov qui est un ami de la famille ferme les yeux, mais Serioja trompe Katia. Elle se suicide en entraînant dans la mort la nouvelle élue.

   L'ambiance oppressive de la famille se concrétise par le mépris. Irina humilie Katia et Mitia tend la main au menuisier par dessus la portière ouverte de la voiture. Dans la scène érotique, les mailles noires de son châle emprisonnent la tête de Katia comme juste retour des choses. Magnifique érotisme parce qu'embrasement de la chair amoureuse d'une femme pure, résolue à ne vivre que pour cet amour et bravant impitoyablement le monde factice qui la bridait.
   Elle est assise sur le rebord de la fenêtre ouverte offerte à l'homme, les deux bras levés agrippés au dormant supérieur, après une métamorphose foudroyante qui la dispose pour l'amour dans le court et violent trajet à deux séparant la machine à écrire de la fenêtre libératrice. La machine deviendra par la suite sous ses mains, par inserts répétés en gros ou très gros plan, une figure de sensualité.
   L'érotisme est le véritable thème du film, entraînant la mort ou la disqualification de tout ce qui l'entrave. Il est si impérieux que, dans un deuxième temps, la belle-fille jouit des caresses de son amant devant la belle-mère sans avoir la force d'y renoncer. L'impassible certitude et la calme détermination de Katia imprégnant jusqu'à la préméditation du suicide, sont l'expression antithétique de sa passion.
   Le savoir-faire du réalisateur est à la mesure de la thématique d'un basculement existentiel. Des ellipses sont ménagées libérant la marche du destin. Ainsi Katia embarque Serioja en pleine ville. La caméra étant placée à l'intérieur derrière les passagers avant et dirigée sur l'avant à travers le pare-brise, la Moskvitch démarre. Changement de plan rapproché par la portière avant gauche cadrant le profil de Katia sur fond de campagne défilant, tandis qu'elle passe la seconde vitesse. Des effets de lumière donnent de plus force à l'image. Quand Katia charge les deux jeunes femmes (dont la maîtresse de Sérioja), la caméra sur le capot avant en amorce, cadre avec le pare-brise, une partie du toit et une bande de ciel au-dessus. Tout est d'un blanc mat mais lumineux : carrosserie visible et ciel. Elle coupe le contact, serre le frein et, visible à travers le pare-brise et la lunette arrière, va vomir à l'arrière-plan.
   Des liens signifiants sont aussi ménagés entre des épisodes distants. À l'hôtel ayant surpris Sérioja avec sa maîtresse, une kinésithérapeute, il
l'entraîne brusquement sur la terrasse où il bouscule un fauteuil roulant d'invalide rappelant irrésistiblement feue la belle-mère installée sur sa terrasse. La chute suicidaire de la Moskvitch franchissant le parapet du pont est anticipée dès le début, sur le même pont, par le reproche de la belle-mère fait à Katia de conduire trop vite.
   Des effets suggestifs mêlent son et lumière. Le tison qui tue Mitia a heurté la suspension qui se balance avec un grincement prolongé, imprimant un mouvement alternatif au faisceau lumineux. Ce dernier trait cependant rappelle peut-être un peu trop le dénouement de
Psychose.
   Par ailleurs une esthétique du fantastique hante sans nécessité les images, comme les bleutés nocturnes ou l'apparition inopinée de Sérioja derrière la fenêtre dans le soir tombant. Les paysages lointains derrière certaines fenêtres paraissent si proches qu'on croirait des tableaux vivants. C'est le cas dans la salle de bain qui évoque en outre la morgue avec ses carrelages blancs jusqu'au plafond et ses cuvettes sous la baignoire. Le thème du vampire en filigrane est intéressant mais surnuméraire.
   On peut regretter enfin le rôle excessif de la musique auxiliaire. Extrêmement recherchée, allant de la parodie aux bruitages, elle envahit l'espace sonore, même si parfois sa disparition totale donne plus de prix aux sons naturels.
   Au total, une hésitation quant aux moyens dissémine les effets. Le plus fort reste l'érotisme, mais il se trouve délayé par l'indécision esthétique. Dommage que la veine érotique n'irrigue point seule le film. Mais un doute soudain me saisit. Le chétif cinéphile a-t-il le droit de donner des conseils à un réalisateur chevronné ? Vain scrupule ! Nous ne sommes pas les esclaves mais les citoyens du monde de l'esprit. 13/06/01 Retour titres