CINÉMATOGRAPHE 

et écriture


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Pascal BONITZER
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Je pense à vous 2006 82’ ; R. P. Bonitzer ; Sc. P. Bonitzer et Marina de Van ; Ph. Marie Spencer ; Mont. Monica Coleman ; M. Alexei Aigui ; Pr. Philippe Liégeois, Jean-Michel Rey ; Int. Marina de Van (Anne), Géraldine Pailhas (Diane), Edouard Baer (Hermann), Charles Berling (Worms), Hippolyte Girardot (Antoine Carré).

   L'écrivain Worms publie chez son éditeur Hermann un roman impliquant l’épouse de celui-ci, Diane, son ancienne maîtresse, qui veut porter l’affaire en justice. Tel un ver dans le fruit le même Worms surprenant dans un cimetière Hermann avec son ancienne compagne Anne, les photographie sur son portable et transmet la photo à Diane, pariant avec elle qu’Hermann n’en soufflera mot (Diane perdra le pari, et retirera la plainte qui en était l'enjeu). Jalouse, Diane prétend à Hermann passer la nuit chez une amie. Mais elle se rend chez Antoine, psychiatre et époux d’Anne, tandis que celle-ci débarque chez Hermann. Anne, qui ne s’est jamais remise de la rupture avec ce dernier, suit un traitement incompatible avec l’alcool. Son ex lui offre un verre. 
   En rentrant plus tôt que prévu, Diane trouve Anne nue sur le lit conjugal, s'étant douchée après avoir vomi sur elle. Mais toutes les apparences sont contre le mari, qui somnolait dans le salon. Anne surprend Hermann proférant des paroles méprisantes à son égard. Partant hors d’elle, elle enfile par erreur l’imperméable de Diane dont les poches contiennent les clés et le portable. Sur celui-ci : un message amoureux de son propre mari. Au jardin du Luxembourg, Antoine rend à Hermann l'imperméable de Diane. Celle-ci survient, puis Antoine. Ils s’enfuient en taxi et couchent ensemble. Anne qui a gardé les clés pénètre dans la maison de l'éditeur et tente de noyer Diane dans son bain. Hermann intervient. S'ensuit un rapport érotique à trois. Le lendemain Hermann prie Anne de partir avant le réveil de Diane. Le couple fait l’amour pendant qu'Anne se dirige vers la station de métro. Elle y descend et se suicide. Devant ce drame Diane et Hermann se lient davantage, malgré l’horreur qu’inspire Hermann à sa compagne.

   Intrigue, décors, société, personnages et dialogues, semblent faits sur mesure pour un public parisien de bonne compagnie, pouvant y retrouver sa propre flatteuse image. Tant et si bien que les brillantes complications narratives : symétries, bouclages et rebouclages, semblent dessiner la subtile figure d’un monde intérieur dans la contemplation de lui-même.
   C’est donc la mise en scène qui s’exhibe avant tout, ce d’autant mieux que les acteurs simulent un personnage abstrait, ce qui suppose pousser devant soi son texte et le débiter en hâte tout en offrant une façade des plus lisses, davantage image sociale que matériau expressif. Nul mystère humain ne vient en effet troubler les certitudes narcissiques de telles acrobatiques velléités pelliculaires.
   Scène intime de Diane et Antoine face à face cadrés épaules, évoquant un procédé déjà vu dans A bout de souffle. Diane : « j’ai mal à un sein ». Antoine : « Je suis psychiatre, pas gynécologue ». Mais Diane : « pas celui-ci, l’autre. Vous serez doux ? ». Point d'émotion sur les visages ni dans le timbre des voix, nulle scansion dans le flux verbal tout tendu vers sa mission informative. Car seuls comptent  la subtilité du cadrage faisant jouer le hors champ et les bons mots, d’auteur s’entend. C'est si narcissique que ce qui devrait sonner de façon plaisante, les tics de langage de Hermann ("pas du tout !"), voire burlesque, le même glissant sur un savon en se précipitant pour sauver sa femme de la noyade, ou encore l'ironie censée sublimer le thème obsédant de la mort en fantastique, ne passe pas.
   Peut-être l’émotion se niche-t-elle dans l’écriture, jeu entre des pièces désancrées, engagées dans un système relationnel libéré de la logique représentative ? Ce carré rouge, élément d’une sculpture décorative happé au passage, qui vient s’inscrire dans le coin supérieur droit juste avant la scène en question, ne s’inspire-t-il pas de la « figurabilité » freudienne, en condensant carré (Antoine Carré) et rouge passionnel ? Mais ce n’est guère qu’un procédé rhétorique isolé, exhibant plutôt un savoir théorique dans la mesure où il ne conduit à rien d’autre qu’à lui-même, comme les bons mots et autres efforts de séduction.
   Car le filmage est à vrai dire des plus académiques. Cadrages et mouvements de caméra avec béquilles musicales "de fosse" (dont Bonitzer a prouvé ailleurs qu'il savait se passer) pour la dramatisation, ainsi que montage parallèle systématique sont platement au service de l’action, c’est-à-dire du texte initial du scénario, à l’état encore non-filmique. Le film repose d’ailleurs si bien sur le dialogue que certaines paroles peu distinctes en raison de ladite diction précipitée, faussement naturelle, peuvent faire manquer les raisons de tout un pan du film.
   À s’essayer au dépassement des genres sans en avoir le souffle, Bonitzer tombe dans une sorte de vaudevillesque lugubre et vain. 25/12/08
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