CINÉMATOGRAPHE 

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Victor SJÖSTRÖM
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Le Jardinier (Trädgårdsmästaren)  Suède Muet N&B 1912 89' ; R. V. Sjöström ; Sc. Mauritz Stiller ; Int. Lili Bech (Rose), Gösta Ekman (Cédric), V. Sjöström (son père), John Ekman (le général).  

   Cédric, le fils du pépiniériste et Rose, la bonne, s'aiment, relation désapprouvée par les parents, qui éloignent le jeune homme. Le patron congédie Rose et son père après avoir violé la jeune fille. Sans ressources ni domicile, ils sont secourus financièrement par un général rencontré aux jardins de thé tenus par le pépiniériste. Alors que Rose requiert une nouvelle aide du général pour soigner son père malade, celui-ci meurt. Elle est recueillie par son bienfaiteur qui la traite comme sa fille, mais quand il succombe à une crise cardiaque elle est chassée par la famille, munie pour tout bien
d'un bijou donné par le général à l'agonie. Rose se console avec des hommes puis, un jour par une irrépressible impulsion, se rend à sa première place, trinque avec les joyeux consommateurs des jardins de thé puis se presse vers la serre où elle fut violée. Là elle arrache des roses de printemps puis s'effondre, frappée de mort. Son corps est retrouvé par son violeur le lendemain matin. 

   Question sociale traitée sans prêche, avec la concision qu'autorise une économie filmique de poésie. L'originalité du thème tient à ce que le traumatisme des exploités n'est pas physique mais moral. On peut mourir d'être privé des conditions de la dignité humaine. L'intégrité de l'individu humain est tributaire de la société. Rose est aussi fragile que la rose de printemps, d'autant qu'elle a été, injustement, sevrée des conditions d'un épanouissement amorcé. Ce n'est pas seulement raconté mais surtout donné à sentir. Il fallait pour cela déployer les ressources de l'image filmique. 
   D'emblée s'affirme la conscience d'un espace quadratique, transgressant l'optique anthropométrique. En usant de la verticalité par la pente ou par l'escalier, on fait évoluer les personnages dans toutes les directions et pas seulement parallèlement au bord bas-cadre. Dès les premiers plans, les amoureux dévalent une colline en plan moyen, jouent à cache-cache autour d'un arbre à l'avant-plan, qui vient tenir lieu de bord droit-cadre à la suite du travelling horizontal accompagnant les personnages gauche-cadre, mais coupés à la taille.
   C'est dire qu'ils baignent dans le hors-champ. L'action n'est pas circonscrite par le cadre. Elle se doit à l'indéterminé du hors-champ que confirme le mépris, fût-il involontaire (n'appartenant pas encore au code)
du raccord logique. Quand les amoureux sont surpris par le père enlacés, ils sortent successivement de chaque côté du champ, puis le père du même côté que son fils, laissant le champ vide. Non seulement le lieu existe par lui-même, retenant l'intensité dramatique, mais c'est le complément de l'action invisible, hors-champ, des personnages allant dans des directions différentes. Les amoureux s'asseyant, en s'enfonçant dans le bord-cadre inférieur, sur un banc invisible au spectateur, on sait qu'ils ne s'appartiennent pas, qu'il auront affaire à un monde d'extension illimitée, non soumis à leur désir. 
   Ce traitement a pour corollaire un discours extrêmement elliptique, une sècheresse bressonienne avant la lettre, un régime de l'implacable relevant du déterminisme social, qui ne laissait aucune chance à la fragile Rose. La mort marque son visage très tôt par des orbites noires, vides, fût-ce caractéristique des éclairages d'alors.
   Premier film, interdit par la censure suédoise pour outrage aux bonnes mœurs, davantage sans doute pour atteinte à la probité bourgeoise ou pour refus de juger les dévoiements d'une fille de rien, que pour le viol lui-même, du reste totalement ellipsé dans la version en circulation, marqué seulement par une déchirure en forme de fente vulvaire dans le flanc de la jupe. La morale officielle ne pardonne pas à ce qui prétend échapper au consensus. Elle est dépassée par toute logique étrangère au jeu politique. 07/01/18
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