CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Patrice CHÉREAU
Liste auteurs

Intimité (Intimacy) Fr.-G.B. VO 2000 120' ; R. P. Chéreau ; Sc. P. Chéreau et Anne-Louise Trividic, d'après des récits de Hanif Kureishi ; Ph. Eric Gautier ; M. Eric Neveux ; Int. Mark Rylance (Jay), Kerry Fox (Claire), Marianne Faithfull (Betty).

   Sans souffler mot, un homme et une femme ne se connaissant ni d'Ève ni d'Adam se prennent fiévreusement tous les mercredis après-midi dans la maison délabrée de Jay, l'homme, qui a quitté sa femme avec deux enfants. S'étant mis en tête de filer Claire, sa partenaire hebdomadaire, il découvre qu'elle fait du théâtre dans le sous-sol d'un café puis sympathise avec le mari chauffeur de taxi, éprouvant le besoin de lui raconter son aventure sans nommer l'intéressée. Au fur et à mesure qu'il socialise la relation, elle lui pèse davantage, mais il suffit d'un rendez-vous manqué pour qu'il soit pris d'une intolérable souffrance. Cette aventure soulève en Jay un questionnement existentiel total englobant ses enfants et son ex-épouse, jusqu'à se masturber auprès de celle-ci endormie. Claire ressent comme un deuil véritable le fait qu'il s'intéresse à elle en dehors du mercredi. Elle avoue l'aventure à son mari et lui déclare qu'elle ne le quittera pas. Dans l'ultime rencontre, avec orgasme et larmes, Jay demande à Claire, qui refuse, de rester avec lui.

   Les cadrages serrés, les filages, les plans fixes, l'éclairage quasi absent fondant les personnages dans leur environnement, la musique aux rythmes noctambules branchés, combinée aux bruits de la ville, subtilement scandés par des sirènes d'ambulance ordonnées au dialogue, développent une esthétique de milieu urbain, comme site par excellence de la problématisation des valeurs et des certitudes.
   Comme chef-barman en boîte, Jay est au cœur de la situation. La ville de Londres est filmée comme un lieu intime et quotidien pourtant ouvert et foisonnant, dont la langue originale est indissociable, nous épargnant en outre la redoutable tendance des acteurs français au naturalisme triomphant. L'itinéraire des personnages principaux se réverbère toujours dans un contexte social. Le deuil de Claire est mis en perspective par un comportement odieux avec les élèves du cours de théâtre qu'elle dispense deux fois par semaine. Un partenaire d'Andy au billard exprime son irritation quant à la continuelle présence bavarde de Jay. Les amis de celui-ci sont toujours les témoins involontaires de ses vacillements. L'un d'eux (un homosexuel français) a assisté, coincé dans une pièce voisine, à la déclaration d'amour de Jay lors de la dernière rencontre. Il finit par sortir en s'excusant mais une stupeur incrédule se lit sur son visage lorsqu'il assiste de l'extérieur au départ de Claire.
   Par cette forte implication de la société urbaine qui en assume seule la tolérance, le regard de l'auteur sur l'hétérosexualité semble n'être pas dénué de préoccupations homosexuelles masculines. Il semble qu'en général, l'homosexualité de couple, socialisée donc, reste paradoxalement marquée par le caractère éclectique de la sexualité des villes. Le filmage se concentre du reste davantage sur l'homme que sur la femme. C'est le souffle de l'homme que l'on entend en gros plan sonore. L'orgasme masculin étant prévalent, Claire apparaît comme l'initiatrice des plaisirs de chair de l'homme, ce qui fait du spectateur un voyeur d'homme. La mise en vedette du fin visage de Mark Rylance s'y emploie. Moins du reste l'émotion intérieure qu'un jeu sur des délinéaments quelque peu enfantins.
   Le système du cadrage en général ne parvient pourtant pas vraiment à saisir autre chose qu'une apparence extérieure. Ce qui permet aux moments faux, il y en a, de passer inaperçus. Certes, les corps de jouissance sont saisis en dehors de tout système de centrage, qui appauvrit toujours la sensation directe et, rompant avec l'ordre de la prévisibilité, des plans fixes silencieux approchent de l'émotion véritable. Mais les options esthétiques par ailleurs sont presque par trop marquées de façon indépendante.
   En définitive, cet excellent film, un des meilleurs de Chéreau, suscite davantage l'intérêt qu'il ne bouleverse. 22/05/03 
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