CINÉMATOGRAHE 

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Georg Wilhelm PABST
Liste auteurs

Quatre de l'infanterie (Westfront 1918) All. VO N&B 1930 93' ; R. G.W. Pabst ; Sc. Ladislaus Wajda et Peter Martin Lampel d'apr. Ernst Johannsen ; Ph. Charles Métain et Fritz Arno Wagner ; Déc. Ernö Metzner ; Mont. Hans Oser ; M. Alexander Laszlo ; Pr. Nero-Film ; Int. Fritz Kampers (le Bavarois), Gustav Diessl (Karl), Hans-Joachim Moebis (l'étudiant), Claus Clausen (le lieutenant), Gustav Püttjer (le Hambourgeois), Jackie Monnier (Yvette), Hanna Hoessrich (la femme de Karl), Elser Heller (la mère de Carl).

   Autour de quatre combattants, la vie quotidienne, tant bien que mal bon enfant de l'infanterie allemande sur le front français en 1918, est finalement dévastée par la mort et la folie. Permissionnaire, Karl découvre que, pour de la viande, sa femme le trompe avec le commis de boucherie. Retour au front où il meurt dans les affres du remords de ne pas lui avoir pardonné. En pleine idylle avec la cantinière française Yvette, Georg l'étudiant est tué à mains nues par un Français. Il gît dans la mare d'un trou d'obus. Ses camarades le trouvant là au cours d'une offensive prennent le temps de le recouvrir de terre. Le Bavarois est fauché par un projectile. Le lieutenant devient fou. En lettres déchiquetées, le mot Ende "fin" est frappé d'un point d'interrogation suivi d'un point d'exclamation.

  
    Ce qui fait le pacifisme foncier du film tient à ce que la violence du front face à l'humanité profonde de la communauté en butte au désastre est traitée comme chose étrangère à la caméra. Infilmable car le tourbillon des batailles est incompréhensible, ce qui se traduit par la multiplication de plans serrés, kaléidoscopiques, à tout moment obstrués par les nuages de poussière des bombardements. La caméra doit alors maladroitement improviser ses mouvements. Au moindre sifflement d'obus,
à tâtons, elle cherche à prévoir l'impact qui va de toute façon l'aveugler. Quant au vacarme infernal des tirs d'artillerie de tous ordres, aussi invisibles qu'omniprésents c'est la véritable musique du film. Pabst eut le tact de ne pas y replâtrer un commentaire musical ad hoc. Elle échappe naturellement à toute possibilité de circonscription dans un cadre. Il en va de même de l'hécatombe. Des soldats-charpentiers s'affairent à découper des croix tombales en masse, métonymie et économie à la fois du carnage qui s'annonce ainsi impossible à dénombrer. Autant le reportage simulé s'offre en désarroi devant le danger absolu de l'immaîtrisable, autant il se veut proche des hommes sans relâche menacés en les montrant dignes d'amour. La caméra se fait alors plus sûre de sa trajectoire. Il n'y a en guerre qu'ennemis, mais c'est de la pâte humaine pétrie de confraternité. Il suffit de se rapprocher pour en éprouver la chaleur. La guerre rebute la caméra, qui s'attache d'autant plus à l'humanité menacée. Les rapports entre les hommes sont pleins de rires et de fraîcheur. Les quelque six minutes de la séquence du théâtre aux armées ne sont pas un interlude divertissant à l'intention du spectateur somnolent. Elles appartiennent à la contre-mesure, pacifique, de la folie meurtrière. Cadrage et découpage s'emploient à faire un tout dynamique de la scène et de son public. Le véritable spectacle est dans la joie volée au malheur, qui se trouve provisoirement conjuré dans ce casque antimilitariste posé sur la tête du clown.
   Quant à la seule romance elle est entre un Allemand et une Française, laquelle est adoptée comme une bonne camarade par la section. Aucune ambiguïté sexuelle même dans la gaudriole. Pas question de fille à soldat qui introduirait la guerre par la bande dans le monde séparé des humains. "Vous êtes tous mes enfants" (jeu de mots sur Infanterist "fantassin" ou en français "mes enfantassins") précise Yvette aux hommes qui la chahutent joyeusement et contre lesquels, par jeu, elle se mutine à coups de poings indolores. Au contraire, l'érotisme de la relation exclusive est l'expression de la force du sentiment. Délaissée soudain par Georg appelé au combat, Yvette haletante de désir s'abat sur la couche en posture d'attente frustrée, sur le dos, cadrée en plongée suggestive. Ce n'est pas le tribut obligé du sexe de consommation, mais l'expression exaltée d'un principe de subversion supérieur à toute idée pacifiste. La femme de Karl ne comprendra pas pourquoi on ne signe pas l'armistice pour qu'elle puisse garder son homme auprès d'elle. Karl a beau s'être replié dans la colère froide en raison de l'adultère, sa respiration s'accélère alors. Ses lourds pas sonores entrecoupés de pauses d'hésitation en dévalant l'escalier au départ traduisent le poids qui le retient malgré lui, mêlé à celui de l'obligation militaire qui le fait disparaître déjà tragiquement, en plongée aiguë dans le hors-champ inférieur, laissant les marches vides. 
   La nationalité est bien le dérisoire
détail où se fonde exclusivement la guerre. Son effacement par l'Éros se prolonge autrement, de manière grandiose, quand le blessé d'à côté, un Français, prend dans la sienne la main de Karl qui vient de mourir. Mais toute forme de démarcation discriminatoire est impliquée. Le problème de frontière ne s'arrête pas à celle qui sépare les belligérants. Bavarois ? Prussiens ? L'occasion seulement pour les soldats allemands de mutuelles taquineries. La barrière hiérarchique même se fait molle. Les officiers ne dédaignent pas de prendre les blessés dans leurs bras. Le lieutenant serre la main de Karl au retour de permission. En lui lançant "Ah c'est vous !", c'est à l'individu qu'il s'adresse, pas à de la chair à canon. Vier von der Infanterie, le titre du livre et sous-titre du film devenu titre en français ne fait pas la différence entre l'officier et les simples soldats. Lorsque d'ailleurs, visage éclairé en contraste avec un autre, le lieutenant est pris en contre-plongée, détaché contre le ciel, il tient plus de l'ange que du supérieur hiérarchique. Au générique, Die vier Infanteristen "les quatre fantassins" inclut celui-ci, dont la crise de démence furieuse dénote une vulnérabilité contraire à l'idéal du chef. De même que les hommes du rang ne se pressent guère pour être volontaires en mission, voire que la victoire de l'offensive française s'expose sans parti-pris... Goebbels fit interdire le film ! Davantage, le pacifisme tend à abolir la guerre des sexes. "[au front] ils se tiennent les coudes" explique à Karl sa mère, "mais que peut faire une femme seule [...]. Tu as été absent trop longtemps. Il ne faut pas laisser une femme seule si longtemps". Et la queue devant la boucherie, faite en vain souvent, témoigne que la faim et l'absence des hommes peuvent bouleverser l'ordre des valeurs. 

   Au total la force du film tient dans la sobriété des moyens, c'est-à-dire dans l'absence totale d'effort rhétorique pour emporter la conviction du public. Car un tel renversement des valeurs dominantes anéantit les a priori sur lesquels peuvent se jouer les ruses du langage. Ce n'est pas de l'idéologie mais de l'écriture : jeu où est prise la caméra, entre les choses et les êtres, soulevant un questionnement. Voyez comme la main devient libre langage, capable de concentrer toutes les intensités. Celle de l'étudiant mort dépasse de son linceul de boue. Karl sur le départ au front serre la main de sa femme au lieu de l'embrasser. À l'arrivée le lieutenant lui serre la main. Enfin, sa main inerte reste dans celle du Français à l'hôpital. 06/11/18 Retour titre