Robert CAHEN
Liste auteursHong Kong Song Fr. 1989 20' ; R. R Cahen ; Ph. et Eff. sp. Stéphane Huter ; Mont. Ermeline Le Mezo ; Son Francis Wargnier ; Eff. oscilloscop. Jean-Pierre Mollet, Rémi Hernaux ; Pr. INA/la SEPT/FR3.
Après ouverture au noir, au terme d'un travelling sur un cercle d'amateurs autochtones au ralenti, accompagné du grondement sourd et métallique de sons électroniques se résolvant en un prélude d'orchestre sur flûtes, cordes et percussions, une jeune femme entonne un air traditionnel chinois. L'image tente de trouver son assiette sans pouvoir ni ordonner sa trame ni redresser, ni synchroniser le son anamorphosé.
Ce plan inaugural de vacillantes sensations, qui sera repris à intervalles comme le rappel d'une profondeur enfouie sous la fièvre de la grande cité moderne, clôturera le film. Il est suivi en fondu enchaîné de la vision familière du sommet d'un immeuble hérissé d'antennes au second plan, montrant à hauteur de terrasse les inévitables rangs de linge agités au vent marin. Un avion glisse entre les vêtements soulevés et les antennes, auquel fera pendant le gros porteur de la fin décollant lourdement au ras des immeubles.
Un nouveau fondu enchaîné offre d'une part, repère dans le chaos, un élément fixe : de dos, un homme vêtu d'un tee-shirt jaune vif, assis sur ses talons sur une terrasse plantée d'antennes, d'autre part des scènes très animées de rue en surimpression, traversées brutalement par des tramways en gros plans sonores traités électroniquement comme des mugissements terribles. Puis apaisement, Hong Kong émerge en plan général entre montagne et front de mer. Un panoramique suit la lente progression parallèle au rivage d'une sorte de vaporetto. Par la construction en boucle suggérant une expérience mentale, cette approche progressive associée au trafic aérien, de même qu'à l'activité portuaire, souligne la situation d'enclave politique autant que géographique.
Ce qui donne au cœur de la cité le caractère paradoxal d'un fabuleux dynamisme revenant sur lui-même de par l'impossibilité d'une expansion hors des limites terrestres du territoire. Le film va jouer sur la figure de concentration en unissant sur une même image une pluralité d'événements visuels et/ou sonores distincts. La triple surimpression par fusion ou alternance sur axes dissociés fait éclater l'espace animé, tandis que les discordances d'échelle de plan à plan, distincts ou fondus, découragent toute velléité de reconstruction rationnelle. Le son anticipe un projectile terrestre quelconque vivement coloré, tramway, bus, voiture de pompiers, bicyclette carillonnant, dont l'image surgit au sein d'un ballet kaléidoscopique tandis que le vacarme mécanique monte en gros plan sonore puis s'éloigne et s'atténue, sollicitant intensément une oreille en posture d'alerte. À l'inverse, celle-ci se positionne dans un véhicule virtuel croisant le tapage cadencé de travaux lourds.
D'autre part, les formes et les bruits semblent se générer les uns les autres par la transformation incessante de l'image et l'enchaînement par recouvrements successifs des concerts entrelacés de clameurs de foule, de grondements de trafic et de bruits précis de voix ou de véhicules. Ce papillonnement n'est point pourtant futilité. Sur des rails qui se confondent avec le bord-cadre inférieur, intégrés donc à une structure palpable, les bogies d'un tramway pris au ralenti font entendre, accentués en correspondance visuelle par gros plan, des accords de pièces de fonderie antinomiques au caractère transitoire de l'agitation de surface.
Et le versant maritime de la cité asiatique offre en contraste un univers de lenteur et de paix au rythme tranquille des machines dont les sons, ponctués de l'appel bienveillant des sirènes, prennent sereinement la mesure d'un espace limpide. Mais jamais nulle forme achevée ne s'installe, tout se défait à nouveau dans une matière vaporeuse ou effilochée, avant de se frayer une autre voie, équivalent visuel de l'état d'alerte de l'oreille qui, tentant d'anticiper l'impossible, rejette toute forme de conclusion qui enfermerait tout un monde dans un schème appauvrissant. 13/03/07 Retour titres