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Le Héros sacrilège (Shin heike monogatari) Jap. VO couleur 1955 107' ; R. K. Mizoguchi ; Sc. Yoshikata Yoda, Masashige Narusawa, Tsuji Kyuchi, d'après le roman de Eiji Yoshikawa ; Ph. Kazuo Miyagawa ; M. Fumio Hayasaka ; Pr. Daiei ; Int. Raizo Ichikawa (Kiyomori Taïra), Yoshiko Kuga (Tokiko Fujiwara), Noritoshi Hayashi (Tokikada Fujiwara), Ichijiro Oya (Tadamori Taïra), Tatsuya Ishiguro (Tokinobu Fujiwara), Michiyo Kogure (Yasuko, mère de Kiyomori), Eijiro Yangi (empereur Shirakawa).
Au 12e siècle deux empereurs de la même lignée sont à la tête du Japon, celui de la cour impériale et l’"ex-empereur" retiré en sa Cour Cloîtrée. Tous deux s’appuient sur la classe des samouraïs. Le puissant clan des Fujiwara qui dominait l’ère précédente est cependant à l’origine de la levée de l’armée des monastères soucieux de tenir en respect les deux pouvoirs.
Sous le prétexte d’être les gardiens des Palanquins Sacrés censés porter les esprits des empereurs défunts, les moines font plier toutes les têtes. Le banditisme et la piraterie faisant rage, la Cour Cloîtrée tente de remettre de l’ordre avec l’aide des samouraïs du clan Taïra.
Le héros, Taïra Kiyomori, est le fils du capitaine Taïra Tadamori qui vient de pacifier les pirates des mers de l’Ouest. Résolus à maintenir les samouraïs dans une condition inférieure, les courtisans intriguent pour écarter des honneurs le capitaine victorieux.
Les Taïra étant pauvres, le valeureux Kiyomori doit aussi bêcher la terre. Il s’éprend de la jeune Tokiko, une Fujiwara tout aussi démunie, réduite à teindre et tisser la soie pour faire vivre la maison, tandis que son frère Tokitada parie aux combats de coqs. Fujiwara Tokinobu, leur père, est tenu en suspicion à la cour pour avoir intercédé en faveur de Tadamori.
Kiyomori est sollicité par un riche marchand nommé Banboku. Désireux de commercer sur les mers de l’Ouest, il requiert en vain la protection du capitaine son père. Pariant sur un avenir glorieux du jeune homme au point de lui proposer plus tard un soutien financier, Banboku confie à Kiyomori que sa mère, qui se prétend de sang Fujiwara alors qu'elle n'est qu'adoptée par le clan, n’est autre que la Dame de Gion, courtisane et ancienne maîtresse de feu l’empereur Shirakawa, lequel la donna en mariage à son père. Union qui fut célébrée sept mois avant sa naissance, ce qui ferait de Kiyomori un fils d’empereur, à moins qu’il ne fût celui du moine débauché surpris en intime compagnie avec la Dame de Gion. Le désarroi du jeune samouraï s’accroît encore de ce qu’excédée de l’état de pauvreté du clan Taïra, sa mère demande le divorce.
Les moines d’Hakusan s’agitant, l’ex-empereur, confiant dans la valeur de son capitaine, le charge d'y mettre bon ordre. Kiyomori, encore humilié de l’injustice faite naguère à son père, refuse de participer à l'expédition. Pour le remercier d’avoir accompli celle-ci avec succès, l’ex-empereur remet à Tadamori le domaine confisqué d’Hakusan et l’anoblit, ce dont le fils se désintéresse comme d'une aumône.
Le père de Tokiko avertit le héros que les courtisans jaloux de sa promotion ont décidé d’assassiner son père à l’occasion d’une soirée donnée par l’empereur. Kiyomori pénètre nuitamment dans le palais impérial pour neutraliser le complot. Ce qu’il fait sans effusion de sang par la seule force de la parole.
Une tentative d’inculpation des Taïra sur initiative des courtisans, au prétexte d’intrusion armée dans l’enceinte impériale, est déjouée par la Cour Cloîtrée. Mais le père de Tokiko est chassé du clan Fujiwara et déchu de ses charges impériales pour avoir trahi le complot. Kiyomori priant son père de l’accueillir dans le clan Taïra lui annonce son intention d’épouser Tokiko. Ce qui s’accomplit.
Un an plus tard, Tokitada délibérément offensé en tant que membre du clan Taïra par des moines armés a pris les armes contre eux. Kiyomori refuse de livrer Tokitada à leur demande. L’armée des moines se rassemble en masse pour récupérer Hakusan et se venger des Taïga. Portant les Palanquins, elle se dirige vers Kyoto, alors capitale.
La cour impériale assignant à comparaître Tadamori et son fils les somme de livrer Tokitada aux moines tandis que les ministres de l’ex-empereur dissuadent celui-ci d’intervenir en raison de l’arrivée des Palanquins. Tadamori refuse d’abandonner Tokitada voué à une mort certaine. Il est ignominieusement souffleté et chassé de la cour. Son fils promet de le racheter en mettant un terme au conflit avec les moines. Le capitaine meurt pendant le trajet du retour.
Entre les mains de la dépouille, Kiyomori trouve un éventail sur lequel est inscrite de la main de feu l’empereur Shirakawa la preuve qu’il en est le fils. Il déclare pourtant préférer renier et son ascendance et les cours qui ont persécuté son clan, pour ne compter que sur ses propres forces.
Cependant l’armée des moines marche sur Kyoto. Kiyomori la rejoint et prend la parole. Il veut bien livrer Tokitada mais déclare que la faute étant partagée, il va punir les Palanquins de ses flèches. Il les décoche sur les Palanquins. Les moines affolés se débandent. C’est, accompli par le héros sacrilège, l’acte inaugural de sept-cents ans de gouvernement militaire.
Riche par lui-même à l'extrême, le scénario propose un récit initiatique sur fond de théorie sociale, à la mesure d’une épopée comme acte héroïque national fondateur. La réalisation est-elle à la hauteur de cette ambition ?
Récit initiatique par la façon dont le protagoniste construit son autonomie avant de remplir ses puissances. Autonomie absolue, tendant à l’autofondation de ce que Kiyomori non seulement renonce à son avantage dynastique mais choisit librement pour père celui qui ne l’est pas génétiquement : « Que m’importe mon père ! Je suivrai ma voie sans dépendre de personne ! Je veux vivre ma vie et choisir ce que je veux en faire ». Son ascension à la force des poignets se mesure également à ce que, répudiant sa mère, fausse Fujikawa et de plus intrigante, il épouse Tokiko, vraie Fujikawa, pauvre comme lui, mais dont il va redorer le blason.
Le héros sacrilège est d’abord, même s’il est marqué par le destin, un héros nu qui se vêt de lui-même de pied en cap. Ce n’est pas pour rien qu’avant même de se déclarer, il prie Tokiko de lui tisser un kimono avec la soie par lui offerte.
Mais ce samouraï armé d'une bêche appartient au peuple actif, qui incarne les vertus humaines, par opposition à l'aristocratie et aux religieux. Les mains tachées de teinture de Tokiko sont, de même, garantes de sa valeur davantage que son prestigieux clan, qui s’avère du reste peu fiable. Les marchés hauts en couleur sont censés témoigner de la vie authentique à l'inverse de la cour et des temples. Le samouraï représente alors la vraie force positive. Proche des humbles par sa pauvreté et la rudesse du métier, il peut incarner les deux ordres, celui du peuple et celui du pouvoir, en prêtant main forte à la construction de la Cité, au prix des risques les plus extrêmes dont le sacrilège constitue ici le paradigme. À condition toutefois de s’être gagné le concours d’une troisième force : la force économique représentée par le marchand Banboku. Tous ces éléments font de Kiyomori la figure parfaite d’un héros épique réaliste.
Mais cela reste un pur effet de scénario, le film s'avérant impuissant aux transmutations qui éviteraient l’application illustrative de données initialement écrites.
En raison surtout de l’extrême naïveté des procédés : la fonction abusivement didactique des dialogues, la tendance à la sursignification par l’usage de grossiers signaux descriptifs et narratifs ou par le secours d’une musique auxiliaire dictatoriale et, d’autre part, des abus techniques, montage, caméra et couleur. Le tout constitue un récit filmique cousu de fil blanc et dont l’esthétique relève de l’ornementation ostensible.
Reprenons : c’est au marché et comme par hasard, par la bouche du peuple que passent des informations relevant de l’exposition telle qu’on l’attendrait du théâtre : « La guerre est à nos portes ! Les pirates règnent sur la mer. Les courtisans sont des incapables. Même les moines terrorisent tout le monde avec leurs armées. Achetez ! Tant que vous le pouvez ! » s’époumone – clin d’œil appuyé au spectateur - le bonimenteur du marché.
Personnages et situations de plus nient le temps filmique comme déroulement imprévisible, ou comme réserve aléatoire de possibles en brandissant les signaux de leur devenir ultime. Kiyomori est d’avance désigné surhomme par ses sourcils jupitériens postiches, de sorte que, le film ne prenant pas acte de la nudité initiale comme condition de départ de l’héroïque ascension, le sens ne peut se construire avec la participation active du spectateur. Possible dans l’épopée fantastique, cette semi-divinité disconvient au présent réalisme social. De même que braver seul armé de son arc toute une troupe moniale outrepasse le rôle, qui perd en crédibilité.
Quant à la mère, en toute situation, y compris dans son rôle d’épouse, le décolleté sous l’échancrure du kimono renchérit sur la courtisane.
Les situations ne s’abritent pas moins sous les drapeaux explicatifs. Le retour de campagne enfonce bien le clou de l’hécatombe guerrière. Un unijambiste bien cadré pousse des cris – entre douleur et joie - en retrouvant les siens. Soutenu par son épouse il sautille sur sa jambe unique pendant qu’une femme hurle : « Où est mon mari ? ». Réponse d'une espèce de sergent-chef fédérateur (véritable Quinquannon fordien), supposé donc pouvoir identifier toutes les épouses des défunts : « Il est mort en combattant » (en "fosse" : harpe et violons). On dépose à terre un brancard. Une femme lève un coin du suaire et fond en larme. « Ils se sont tous battus en héros » commente Quinq..., pardon le "sergent-chef". « Mais nos ennemis étaient plus nombreux que nous… » (gage de bravoure seriné). À l’arrière-plan, un soudard serrant un bébé dans les bras observe la scène (le bébé : ingrédient insigne du pathos). « Et mon fils ? » sanglote une autre s’adressant au fédérateur hypermnésique. « C’était un brave. Priez pour le repos de son âme. » Il lui tend comme aux autres les armes du défunt sous les yeux du rude combattant au nourrisson.
Les compagnons d’arme réunis chez le capitaine qui vient d’être éconduit par la Cour Cloitrée ont tous l’air accablé, chef baissé, bras ballants. « Allons amis, de la gaieté ! » lance l’un d’entre eux chargé d’animer l’atmosphère. Puis Kiyomori : « Allez ! Buvez donc et soyons gais ». Tout cela sous le comique involontaire de l'antithèse grossière.
La rencontre de Kiyomori et de Kokiko sous musique suggestive est traitée avec doux souffle de vent dans les feuillages dans une lumière bleutée de romance hollywoodienne. Plus tard, c’est affublé d’un kimono chiffonné, stigmatisant, outre l'urgence pratique, l’abandon maternel, que Kiyomori prie Kokiko de lui en tisser un.
Toujours et encore, l'orchestre "de fosse" se donne à fond. Lugubre au défilé de l’armée des moines, il est sentimental à la rencontre amoureuse (flûte, harpe, vibraphone), tragique au retour de campagne, bucolique (basson) pour le bêchage de Kiyomori, triste lors du départ de la mère sous les yeux des enfants, irréel et comme halluciné dans les flash-back…
La photographie des décors et costumes, la composition et le jeu des couleurs qui la règle, aussi superbes que superfétatoires, semblent figurer pour eux-mêmes indépendamment des nécessités, jusqu’au cartepostalisme dans cette manière d’interposer un avant-plan pour occuper réalistement la distance optique. De même que les raccords systématiques en fondu-enchaîné et la caméra hyperactive, sans égard à la sobriété requise, occupent beaucoup trop de place inutile.
Que les inconditionnels me pardonnent, mais déboulonner les idoles est la tâche prioritaire de tout sujet humain qui se respecte et je me préférerais piètre humain que bon citoyen d’un monde gadgétisé. 19/08/10 Retour titres