CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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John BRAHM
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Hangover Square USA VO N&B 1945 78' ; R. J. Brahm ; Sc. Barre Lyndon, d'après Patrick Hamilton ; Ph. Joseph LaShelle : M. Bernard Herrmann ; Pr. 20th Century Fox ; Int. Laird Cregar (George Harvez Bone), Linda Darnell (Netta Logdon), George Sanders (Docteur Middleton), Alan Napier (Chapman).

   Le grand compositeur Bone se transforme en assassin lors de crises de démence qui ne lui laissent aucun souvenir. Il tue la jolie chanteuse Netta pour qui il avait consenti à composer, mais qui se moque de lui avec son amant Mickey et Carsters, l'imprésario qu'elle va épouser. Au moment où il étrangle la jeune femme avec une embrasse de rideau, le chat qu'elle lui avait confié est écrasé dans la rue. Jeté sur le bûcher rituel de Guy Fawkes le 5 novembre, le cadavre de la jeune femme est anéanti.
   La police soupçonne le musicien puis renonce, mais Middleton, le docteur de Scottland Yard que Bone était venu consulter, a compris. Au moment où Bone va jouer la première de son concerto pour piano, le docteur lui demande de le suivre à Scottland Yard. Le grand musicien parvient à l'enfermer pour ne pas manquer à son public. Mais Middleton délivré débarque en force avec la police sur la scène du concert. Bone se fait remplacer par Barbara, la fille du chef d'orchestre qu'il avait délaissée pour Netta. Bien que les policiers lui assurent que, n'étant pas responsable, il ne sera pas pendu, il met le feu au bâtiment et va achever son existence tourmentée dans les flammes de la salle évacuée, en jouant la partie de piano du concerto. Dehors, un policier a des scrupules, mais le docteur le rassure : cela vaut mieux ainsi.

   S'il est une chose impardonnable au cinéma, c'est de prétendre fonder la valeur d'un film sur la multiplication des clichés.
   Dans l'inquiétant Londres postvictorien de 1903, le cerveau génial qui déraille, prédestiné au crime par son patronyme (bone : os), le grand musicien incompris et trahi par celle qu'il aime, le montage parallèle pseudo-fantastique, la partition grandiloquente à la Rachmaninov, interprétée les yeux exorbités, les terrifiants masques de mannequins dans l'ambiance de fête rituelle, l'élégant et infaillible médecin seul détenteur du bon sens, les flics compréhensifs qui se portent garants du tribunal, les éclairages superlatifs, les flous et le mickeymousing musical, véritable surlignage mélodramatique, tout cela bien mis en valeur par l'académisme du montage et du cadrage. À tout moment, le film semble loucher sur les réalisations contemporaines appropriées :
La Féline de Jacques Tourneur, avec le même Alan Napier (Cat People, 1942, le chat étant identifié à Netta), Le portrait de Dorian Gray d'Albert Lewin avec le même Sanders (The Picture of Dorian Gray, 1944), Dr Jekyll and Mr Hyde de Victor Fleming (1941)...
   Il n'est pas impossible d'admettre par conséquent qu'à cours d'imagination, le metteur en scène ait fait le choix des grosses ficelles de la sensiblerie : c'était son droit et même son devoir vis à vis du service financier de la Fox. Ce qui est plus difficile à comprendre c'est le jugement de la critique actuelle.
   
Le Guide des films de Jean Tulard : "Excellent film noir, bien filmé et bien joué par le couple Cregar-Sanders, également vu dans Jack l'éventreur." Ou encore Télérama du 3 septembre 2008 : "rarement le Londres victorien n'avait été aussi angoissant, tragique que dans Hangover Square, chef-d'œuvre d'atmosphère [...] ce n'est pas un assassin que filme John Brahm, mais un artiste en proie à d'irrépressibles démons, une pathologie qui va crescendo, portée par la partition de Bernard Herrmann, qui, pour l'occasion, a écrit un véritable concerto pour piano et orchestre d'un romantisme noir. La scène finale où l'assassin malgré lui continue, en plein incendie, à interpréter au piano l'œuvre de sa vie est simplement stupéfiante..."
   Ou plutôt, on peut comprendre que les jugements de valeur ("bien filmé", "bien joué") qui ne sont pas assortis d'une réflexion sur leur fondement n'engagent à rien. Ou bien que les critères témoignent d'une cécité à la fadeur du cliché ("angoissant", "tragique", "chef-d'œuvre d'atmosphère", "romantisme noir", "la scène finale... stupéfiante"), exaltant l'effet d'atmosphère en soi tout en protestant de la moralité de l'intention ("ce n'est pas un assassin que filme..."). A moins que ne soient portés aux nues des aspects contingents : "véritable concerto", ou encore le fait que Laird Cregar non seulement a interprété
Jack l'éventreur, mais est mort à vingt-huit ans d'une crise cardiaque, comme si l'anecdote et la biographie étaient garantes de la valeur du film.
   Rien, en tout cas, sur la filmicité elle-même, et pour cause : c'est la théâtralité qui l'emporte. 13/09/08
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