CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Nicholas RAY
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Johnny Guitar USA VO couleur 1953 110' ; R. N. Ray ; Sc. Phil Yordan, daprès Roy Chanslor ; Ph. (Trucolor) Harry Stradling ; M. Victor Young ; Pr. Herbert Yates/Republic ; Int. Joan Crawford (Vienna), Sterling Hayden (Johnny Guitar), Scott Brady (Dancing Kid), Mercedes McCambridge (Emma Small), Ernest Borgnine (Lonergan : Galerie des Bobines), Ben Cooper (Turkey Ralston), Royal Dano (Corey), John Carradine (Old Tom), Ward Bond (John McIvers), Frank Fergusson (le chérif Williams), Paul Fix (Eddie), Rhys Williams (Mr. Andrews).

   Johnny Guitar débarque sans armes, guitare en bandoulière, dans le saloon désert de Vienna où la roulette ne semble tourner que pour meubler le silence. Bientôt surgit un groupe d'éleveurs menés par Emma Small, qui exige des comptes de la mort de son frère lors d'un hold-up. Elle accuse les amis de Vienna, Dancing Kid et ses trois acolytes qui exploitent une mine d'argent secrète. Amoureuse du "Kid" Emma est rageusement jalouse de Vienna, sa maîtresse probable et dont le saloon, placé sur l'emplacement de la future voie ferrée, est une future mine d'or. Vienna fait front et parvient, revolver au poing, à calmer le jeu.
   La bande de Kid survenant se voit cependant sommée par le gros éleveur McIvers de quitter le pays sous vingt-quatre heures. Vienna, quant à elle, devra fermer son saloon dans les mêmes délais. Guitar se trouve en conflit avec Kid et sa bande, d'autant qu'il semble trop bien connaître Vienna. Elle l'a fait venir pour travailler avec elle, soi-disant comme musicien. Il démontre ses talents à la guitare, et au poing en rossant Bart, la brute de la bande qui entendait l'obliger à se saouler. Mais un peu plus tard, croyant à une attaque du jeune Turquey qui jouait du revolver pour se valoriser, il s'avère un redoutable tireur, dont on apprendra ultérieurement le nom connu dans tout l'Ouest : Johnny Logan, de même que sa qualité d'ancien amant de Vienna venu renouveler ses serments.
   Situation extrêmement tendue dès le départ donc : une femme à poigne entourée de deux hommes d'envergure, en conflit avec une jeune écervelée prête à tout, et un violent enjeu social opposant par souci de leurs privilèges les notabilités du pays aux aventuriers accrochés à de sérieux filons. Par la suite, pour se venger de l'ultimatum, les quatre proscrits attaquent la banque des Small au moment où Vienna venait solder son compte. Emma, qui conduisait l'enterrement de son frère, ameute tous les hommes présents et se lance à la poursuite, non seulement de Kid, mais aussi de Vienna vite confondue avec les autres.
   Entre-temps la bande talonnée s'est réfugiée dans son repaire secret, à l'exception de Turkey, replié dans le saloon à la suite d'une double chute de cheval. Les poursuivants l'y dénichent à la nuit et parviennent à lui faire avouer, contre la vie sauve, la complicité de Vienna. Il est tout de même condamné à la pendaison avec elle et exécuté le premier, tandis que Vienna est délivrée par Johnny. Ils se réfugient dans une ancienne galerie de mine sous le saloon en proie à un violent incendie déclenché par Emma, et rejoignent le repaire au matin en traversant la cascade qui en protège l'entrée des regards. Là, Bart supprime son acolyte Corey parce qu'il refuse de faire sécession comme lui, mais il est tué par Johnny avant d'abattre Kid. Ayant trouvé le passage, Emma blesse Vienna et descend Kid qui s'élançait pour la défendre, mais elle est atteinte mortellement par une balle de Vienna. Dégoûtés par le massacre, les éleveurs laissent passer Vienna et Johnny qui s'étreignent amoureusement sur fond de cascade.

   Remarquable Western développant un univers totalement original, caractérisé par des plongées-contreplongées qui marquent entre les êtres une coupure plus radicale que si elle s'exerçait sur l'axe horizontal. La violente tempête de sable ouvrant le récit est une métaphore du conflit à venir, si tenace qu'il semble s'infiltrer jusque dans la bouche comme le sable et traverser les murs comme les sifflements du vent. Il s'appuie sur un implacable différend entre deux femmes.
   Emma ne cesse de montrer les dents comme un chien enragé. En vêtements de deuil à la tête d'une troupe d'hommes, en noir comme elle, elle incarne la haine à l'état pur, telle qu'elle peut exister dans la vie des petites communautés. En enfourchant son cheval pour l'expédition punitive, elle perd son voile noir, resté à terre comme un témoignage de son aveuglement. La terre ocre et aride dont la couleur se marie brutalement au noir et au blanc, avec des tonalités vigoureuses, dues au procédé Trucolor, est une totale nouveauté du genre.
   Vienna est une femme déjà mûre, au visage farouche et déterminé, à la limite de la laideur. Elle n'est pas en reste face à la violence d'Emma : "Ton frère était un type bien, lui lance-t-elle, il t'ignorait !" Mais ce visage et ces paroles recouvrent un caractère humain : elle juge Johnny trop sanguinaire, protège les plus faibles, etc. C'est aussi une femme "moderne", ne cachant pas sa vie sexuelle (elle fut la maîtresse du Kid), indépendante moralement et financièrement, et qui défend même la cause des femmes : seuls les hommes ont droit à l'erreur, remarque-t-elle, alors qu'il suffit d'un manquement aux règles pour qu'une femme soit traitée de pute ! Véritable provocation politique sous le maccarthysme.
   Du coup l'esthétique sombre du film prend tout son sens. Les scènes nocturnes à la suite de la pendaison où l'on entraperçoit les fugitifs noyés dans les ténèbres, sont à la mesure d'une lutte impossible, dont ils sortent victorieux par une sorte de miracle, profession de foi de l'espérance dans un contexte trouble. Ce soubassement éthique
(1) permet de dépasser les poncifs du genre comme le manichéisme (personnages principaux tous contradictoires), et le star-system : femmes non calibrées Hollywood. 7/09/02 Retour titres