CINÉMATOGRAPHE 

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Jim JARMUSH
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Ghost Dog. The Way of the Samouraï USA VO 1999 116' ; R., Sc. J. Jarmush ; Ph. Robby Müller ; Mont. Ray Rabinowitz ; Son Chic Ciccolini ; M. RZA ; Pr. Plywood ; Int. Forest Whitaker (Ghost Dog), John Tormey (Louie), Isaak de Bankolé (Raymond), Camille Winbush (Pearline), Cliff Gorman (Sonny Valerio), Tricia Vessez (Louise Vargo), Henry Silva (Ray Vargo), Frank Minucci (Big Angie), Richard Portnow (Handsome Frank), Damon Whitaker (Ghost Dog jeune), Vince Viverito (Johnny Morini). 

    Ghost Dog n'a pour compagnie, outre les occupants d'un pigeonnier, que Raymond, le glacier ambulant haïtien francophone et Pearline, fillette noire avec laquelle il échange des livres.
   Ce Négro-Américain au physique et au comportement d'ours brun exerce le métier de tueur à gages comme un Samouraï, dont la voie lui est enseignée par son livre de chevet,
Hagakure. En tant que tel, il s'est voué à la vassalité du petit mafieux Louie, qui l'avait sauvé tout jeune des griffes d'assassins racistes. Louie propose des contrats passés au moyen d'un pigeon voyageur. Mais le dernier est exécuté par erreur sous les yeux de la fille du parrain Vargo.
   Condamné par la mafia, Ghost-Dog descend un à un les membres de la bande sauf Louise Vargo et Louie, qu'il blesse à deux reprises à l'épaule - au même endroit pour ne pas trop le trouer - afin de ne pas le compromettre. Puis, sous les yeux de Raymond et de Pearline, se laisse abattre par son suzerain qui applique à regret la loi du clan.

   L'essentiel est ailleurs, comme il se doit dans toute chose relevant de l'art
(1) : le bestiaire d'abord, qui représente comme des racines animistes de la philosophie du Hagakure. En la radicalisant dans une tabula rasa de la culture, il légitime un dépassement des lois humaines.
   Le métier de tueur est tout aussi nécessaire dans l'équilibre de la biosphère que le rôle de prédateur. D'ailleurs la mort n'est qu'un état transitoire. La référence chamanique complique par conséquent le portrait : le tueur est un fantôme de chien (ghost dog) dans la peau d'un ours. Voilà pourquoi un chien bâtard inconnu se plante parfois devant lui sans qu'il soit besoin de manifestation quelconque et que l'homme-ours-chien massacre deux tueurs d'ours.
   Cependant cet état particulier, fait d'impossibles synthèses entre l'homme et l'animal, entre la vie et la mort, suppose des pouvoirs magiques qui se concrétisent par une maîtrise inconnue des lois de l'électronique. La mallette qui ne le quitte jamais contient avec une panoplie d'armes à feu un appareillage sophistiqué pouvant neutraliser tous les dispositifs de sécurité, faire démarrer les voitures les plus verrouillées, ouvrir les portails blindés.
   Ghost Dog est un passe-muraille comme tous ses pareils. Il vit dans un espace parallèle qui le protège et dont il jouit, s'emparant à volonté des plus luxueuses automobiles dans lesquelles il se transporte sur le lieu du prochain contrat en y écoutant - acte d'appropriation morale - ses propres CD. L'impression corrélative de survol surnaturel du réel, que corroborent la colombophilie et une maîtrise de l'espace balistique relevant de l'ubiquité est parfaitement concrétisé au plan sonore par les beaux accords subtilement rythmés de RZA.
   Voilà un dispositif fantasmatique parfaitement cohérent, et pourtant il fonctionne en déperdition à cause du souci de démonstration qui l'anime, appuyé sur le dogme implicite d'une haute sagesse perdue qui ne se retrouverait que chez les animaux, les enfants et la communication paralinguistique, laquelle abolit pour Raymond et Ghost la barrière entre francophonie et anglophonie.
   Il s'agit surtout d'une sagesse consignée dans le
Hagakure dont les citations ponctuent à intervalles réguliers le développement de l'intrigue. Pierre d'achoppement métaphysique et non nécessité immanente d'un univers où tout s'ordonnerait aux quelques figures déjà répertoriées. Le spectateur est invité à admirer le texte de référence et, partant, les mythes du film qui l'élargissent, au lieu de participer à une structuration imaginaire par une profonde et intime expérience.
   Application d'une idée davantage que
work in progress d'un concept réparateur qui ne connaît pas encore son propre langage, ce film paraît quelque peu manquer la voie artistique esquissée. 12/01/05 Retour titres