CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

 
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Josef von STERNBERG
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Shanghai Gesture (The Shanghai GestureUSA VO N&B 1941 99'R. J. von Sternberg ; Sc. J. von Sternberg, Geza Herczeg, Jules Furthman, Karl Vollmöller, d'apr. la pièce de John Colton ; Ph. Paul Ivano ; Mont. Sam Winston ; Déc. Howard Bristol ; Pr. United Artists ; Int. Gene Tierney (Poppy Smith/Victoria Charteris), Ona Munson ("Mother" Gin Sling), Victor Mature (Dr Omar), Walter Huston (sir Guy Charteris), Phillis Brooks (Dixie Pomeroy), Clyde Fillmore (Percival Montgomery Howe, le Comprador), Eric Blore (Cesar Hawkins), Marcel Dalio (le croupier).  

   La belle Victoria, fille du richissime Sir Guy Charteris, est fascinée par les milieux interlopes et l'ambiance trouble du grand casino tenu par la Chinoise "Mother" Gin Sling, qu'elle fréquente sous le pseudonyme de Poppy Smith. Elle s'éprend du prétendu docteur Omar, sorte d'âme damnée de la patronne, un individu sans scrupule qui se présente à elle en tant que "docteur de Shanghai et Gomorrhe", devient sa maîtresse, lui fait des cadeaux somptueux. Mais Omar couche avec Dixie, la danseuse qu'il avait fait engager après l'avoir tirée des griffes de la police par corruption. Jalouse, Poppy/Victoria s'alcoolise et, encouragée par Omar, perd de l'argent à la roulette.
Gin Sling flairant le fric charge son secrétaire de découvrir son identité véritable. 
   Cependant, le commissaire a annoncé à la tenancière la promulgation d'un décret proscrivant les casinos. Les informateurs de Gin Sling découvrent que c'est Charteris qui tire les ficelles dans le but de nettoyer la ville. Grâce à la description de Dixie, qui l'a connu naguère, Gin Sling reconnaît en Charteris, Dawson, l'époux dont elle eut un enfant et qui l'abandonna en la volant, à la suite de quoi elle finit vendue et prostituée. Résolue à se venger, elle l'invite à une soirée en l'honneur du Nouvel An chinois, jour où traditionnellement l'on paye ses dettes. À l'ex-mari qui la croyait morte elle dévoile son identité puis fait paraître Victoria, qu'il croyait pourtant avoir renvoyée à Singapour en raison de sa conduite ruineuse. Le crédit illimité accordé par Gin Sling et la déchéance confiée aux bons soins d'Omar indiquent que, son nom véritable ayant implicitement filtré, la fille était devenue le moyen de la vengeance contre le père. 
   Ayant chargé son avocat, présent parmi les invités, de rembourser en son nom les 20000£ que doit Victoria à la banque du casino, et d'assurer Gin Sling qu'un compte à son nom était crédité du montant du vol d'autrefois (ce qui était contradictoire avec sa mort supposée), Charteris prend congé et entraîne sa fille dans la rue où le Nouvel An bat son plein. Elle lui fausse compagnie afin d'aller prendre congé d'Omar. Charteris sur ses traces retourne chez Gin Sling. Celle-ci lui évoque méchamment le sang corrompu transmis à Victoria. Il rétorque qu'il s'agit de leur fille, qu'elle pensait morte au berceau.
Dans la pièce à côté Omar arrachant à Victoria le revolver dont elle allait user sur Dixie, le balance sur la table. Il atterrit juste sous la main en amorce de Gin Sling, qui était hors-champ. Elle révèle être sa mère à Victoria, qui la traite de crapaud. Gin Sling l'abat. 

   Quelle amertume en ce récit d'un monde babélien régi par la roue de fortune, et ce d'autant qu'aucun jeu dans la représentation ne laisse place à la moindre échappatoire ! Cela commence par un mouvement de grue sur la roulette et s'achève de même. Maladive fascination pour un exotisme vénéneux fécondé par le capitalisme colonial, dont Victoria, qui passe physiquement - étonnante métamorphose - de la femme du monde blanche à la sauvageonne métissée, est le rejeton. Cela distille une moite culpabilité dans cette violence qui ne s'apaise pas même avec la mort de la protagoniste, que sa beauté presque insoutenable mue en simulacre de victime expiatoire.
   L'effort pathétique exercé pour convaincre du bien-fondé de ce morbide tableau se traduit par toute sorte de modes de saturation de l'image. Chinoiseries des décors du casino en forme d'arènes à balcons concentriques étagés, surpeuplés, extravagante coiffure hérissée de signaux maléfiques de Gin Sling, inévitables pétards et dragons du Nouvel An chinois pour l'ambiance, qui n'empêchent la surenchère de la bande-son par la musique de surplomb.  
    Autant de surcharge dont la masse écrase le spectateur, qui va du coup voir ailleurs si on n'accorderait pas un peu d'espace à sa liberté de respirer. 24/02/2018
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