CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

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Fred C. NEWMEYER et Sam TAYLOR
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Vive le sport ! (The Freshman) USA Muet N&B  1925 76' ; R. F.C. Newmeyer et S. Taylor ; Sc. John Gray, Sam Taylor, Tim Whelan, Tod Wilde, Thomas J. Gray, H. Lloyd ; Ph. Walter Lundin ; Mont. Allen McNeil ; Pr. The Harold Lloyd Corporation/Pathé ; Int. Harold Lloyd (Harold Lamb), Jobyna Ralston (Peggy),  James Anderson (le héros du collège), Brooks Benedict (le perturbateur), Hazel Keener (la beauté du collège), Joseph Harrington (le tailleur), Pat Harmon (l'entraîneur).

   Harold a longtemps rêvé d'université. Il admire notamment un film dont il s'approprie l'étrange salut du héros-étudiant. Grâce au produit de la vente de lave-linge il s'inscrit à l'université de Tate, espérant y supplanter l'étudiant le plus populaire comme champion du football.  Immédiatement catalogué
ringard, le novice fait les frais des plaisanteries de ses pairs. Tout ce qu'il entreprend pour sa popularité tourne à son désavantage. Heureusement, il a le soutien inconditionnel de Peggy, la fille de sa logeuse. Harold sollicite d'être enrôlé dans l'équipe de foot, mais le test s'avère désastreux. Il se croit suppléant alors qu'on l'a relégué porteur d'eau. Finalement, conscient de ses échecs répétés, ce Don Quichotte compte sur le grand match contre Union State pour être enfin sacré champion. Mais le jour J, alors qu'il espère remplacer un joueur, il découvre sa véritable fonction. La colère décuplant ses forces il parvient, de guerre lasse, à convaincre l'entraîneur pourtant réputé inflexible. Son équipe l'emporte grâce à lui et à son jeu atypique, qui déroute l'adversaire. Alors qu'il est porté en triomphe et que ses persécuteurs, y compris le terrible entraîneur et le champion de Tate, adoptent déjà pour eux-mêmes son loufoque salut gestuel, il reçoit sur un billet une déclaration d'amour de Peggy.  

   Immense succès. Trois possibles raisons : 1) Satire de la prépondérance du sport dans le prestige des études. 2) Compétition sportive prise au premier degré, intéressant les inconditionnels du football américain. 3) Traitement burlesque touchant aux plus profonds ressorts du genre, propre à décupler l'effet satirique, car le point de vue du burlesque constitue une véritable position d'extranéité. (1) et (3) sont donc compatibles entre eux, mais également (1) et (2) : on peut être sensible à la critique, concernant une conception de l'université, tout en étant séduit d'un autre côté par le sport. La plus grande distance est entre (3) et (2), de ce dernier pouvant résulter un contresens complet du film.
   Je m'intéresserai particulièrement au burlesque en tant que forme du comique dont le ressort est dans le refoulement de la petite enfance, en considérant le rire une défense contre le retour de ce refoulé, incompatible avec la vie sociale.
Harold est, à l'image, brièvement identifié au bébé qu'il tient d'un seul bras. Ce qui fait force ici est que cela remonte à l'ontogenèse d'avant l'unification imaginaire du corps. Hâtivement faufilé in extremis par le tailleur, le smoking de bal de Harold se démantibule, dos, manche puis, apothéose, tout le bas, progressant en complexité organique sous les yeux des danseurs comme dans un mauvais rêve. Il doit même récupérer la manche qui s'est accrochée au popotin d'une danseuse, comme si des parties de son propre corps retournaient au corps maternel, anal, de la théorie sexuelle infantile. Le travail de réunification du corps propre semble ardu et tâtonnant. Aussi n'évite-t-il pas la distorsion quand la jambe semble s'articuler à l'envers par confusion avec celle, détachée, du mannequin ou, que, le buste étant attablé, le corps est rejeté en arrière à partir de la taille, encore à contre-sens, derrière le rideau où le tailleur s'évertue à réparer les jambes. Ce qui peut entraîner la confusion avec d'autres corps. Le même tailleur ainsi dissimulé prêtant sa main à Harold pour remettre un billet de banque que la main cachée "en réparation" récupère dans la poche de l'emprunteur. Harold met à profit cette permutabilité des organes pour substituer sa poche revolver à celle d'un autre, qui y introduit sa flasque d'alcool. Tout peut donc permuter et le craquement d'un morceau de bois à l'extérieur être pris pour celui des os du dos, en contraste rhétorique, du reste, avec l'infrangibilité des colonnes de pierre à l'arrière-plan.
   Le détournement d'objet relève de la même logique. Une danseuse marchant sur les bretelles d'Harold égarées les prend pour son porte-jaretelle, qu'elle va refixer tout honteuse.
   Au niveau narratif, l'infantilisme latent du burlesque détermine le thème de l'apprentissage. Apprentissage social allant de pair avec l'éducation sentimentale, où l'amour est, de plus, traité finement, de façon spirituelle. C'est par la médiation d'un mot croisé proposant de "trouver un nom à celui/celle (the one) que vous aimez" que Harold et Peggy se rencontrent dans le train. À la fin Harold lit le billet d'amour en s'appuyant sur le bouton de la douche, qui l'inonde, refroidissant aussitôt un excès d'ardeur.
   Au grand match, on compte quatre spectateurs remarquables dans les gradins : l'étudiant malveillant qui ne cesse de se moquer de Harold ; la logeuse et sa fille ; le tailleur.
   Autrement dit, l'opposant qui n'est là que pour être disqualifié en tant que tel, le pôle féminin, en partie maternel - associé au foyer - et le pôle masculin paternel de celui qui répare le corps morcelé. Le burlesque alimente donc
le récit en affects qui dépassent l'ordre de la représentation. À ce même titre il participe de la fonction critique à relativiser les valeurs de la société. Non pas que les valeurs infantiles soient préférables, mais autant l'enfant suscite le rire de ceux qui ont dépassé l'état infantile, autant, inversement, le point de vue de l'enfant peut être une dérision de l'état adulte et du monde afférent. Les meilleurs ressorts du burlesque donc sont à l'œuvre et tout le filmage consiste à les mettre en valeur. Ce qui ne vaut tout de même pas un Chaplin (même si Freshman supplanta La Ruée vers l'or au Box-office), où le filmage devient le burlesque même. 11/04/18 Retour titres