CINÉMATOGRAPHE 

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Barry LEVINSON
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Les Filous (Tin Men) USA VO 1987 115' ; R., Sc. B. Levinson ; Ph. Peter Sova ; M. David Steel, Andy Cox ; Pr. Mark Johnson ; Int. Richard Dreyfus (Bill Babowsky), Danny DeVito (Ernest Tilley), Barbara Hershey (Nora), John Mahoney (Moe), Seymour Cassel (Cheese), Jackie Gele (Sam), Stanley Brock (Gil), Bruno Kirby (Mouse), J.T. Walsh (Wing).

   Baltimore 1963. Deux représentants en panneaux d'alu, Babowsky et Tilley, se haïssent cordialement depuis un accrochage en Cadillac. Les déprédations réciproques sur cet outil de travail destiné à poser le vendeur se répètent à la moindre occasion, jusqu'à ce que Babowsky séduise par vengeance la femme de son ennemi intime, lequel est trop heureux d'en être débarrassé. Ayant appris le rôle infamant tenu malgré elle, Nora à son tour enfonce la Cad de son amant. En réalité ils s'aiment mais Tilly, qui se refuse à divorcer, a de plus regagné Nora au billard. Cependant ses déboires dans le métier, avec le fisc et avec les services d'enquête judiciaire sur la moralité de la profession, le calment. Les deux bagarreurs impénitents finissent par se rapprocher après avoir tous deux perdu leur carte de VRP pour infraction professionnelle.

   À la fois comédie de la confrontation haute en couleur entre deux représentants des classes moyennes très différents, et chronique satirique de la profession à un moment donné de l'histoire de Baltimore. La comédie repose sur un burlesque discret assuré par le geste (tic de la raideur de nuque notamment) et l'expression du seul Tilly, et le caractère spirituel du dialogue. La satire s'avère une excellente méthode documentaire relevant l'étude réaliste de cette communauté virile au café, au restaurant, au bureau ou en démarchage.
   On comprend mieux la mentalité de cette catégorie socioprofessionnelle à l'alignement des ailerons d'une série de Cadillac pastel garées devant l'entreprise. Sur la brèche vingt-quatre heures sur vingt-quatre au détriment de la vie de famille, les VRP sont assaillis de tracas administratifs et financiers. Endettés pour une automobile plus coûteuse qu'un appartement, ne pouvant exercer leur métier sans arnaquer, ils sont dans le collimateur de la commission des fraudes. Moe, le meilleur d'entre eux, l'a compris après une crise ca(r)diaque qui l'amène à renoncer. Cette prise de conscience, signe de maturité, chacun des deux héros l'atteint. Tilly parce qu'il n'a plus rien (Cadillac saisie), Babowsky parce qu'il est tombé amoureux pour la première fois. Il se saborde du reste en remettant volontairement les preuves de ses irrégularités à un mouchard.
   Car les gagnants sont ici l'amour et l'amitié. Le premier, illustré le jour où, sous une pluie battante, le champion de l'arnaque verbale, Bill Babowski, dit BB, trempé jusqu'aux os, s'essaye maladroitement à convaincre de son amour Nora, bien protégée dans un imper rouge sous un parapluie crème. L'autre à la fin, quand les deux anciens farouches ennemis ont en même temps une idée - qu'on soupçonne être un projet d'association - dans un décor urbain vallonné à fort trafic genre Los Angeles, image positive des affaires. Auparavant une petite Volkswagen noire qui avait déjà attiré l'œil de Bill en difficulté, leur a coupé la route avec un bruit scatologique, préfigurant le démarrage difficile qui les attend.
   Le son est toujours travaillé avec la même intelligence. Durant la bagarre entre les deux loustics sur le parking, retentissent des coups de feu, puis paraît l'écran animé d'un
drive in à l'arrière-plan. La musique n'est "de fosse" qu'en apparence. La plupart du temps, elle anticipe une source musicale diégétique, une boîte de nuit surtout. À chaque fois que La Bamba résonne, un élargissement du plan révèle un type qui chante en mimant le juke-box en marche. Elle n'est supradiégétique qu'à titre de ponctuation, de principe d'enchaînement ironique entre deux séquences ou sous une forme ludique. Quand Bill va annoncer à Nora qu'elle l'encombre, la musique joue en sourdine imperceptible dès le plan précédent, augmentant progressivement d'intensité jusqu'à l'ostensible coda soulignant le baiser final derrière la vitre dépolie qui les sépare de l'immense salle des bureaux. Ou bien le premier soir, Nora et Bill dansent amoureusement sur la chanson-leitmotiv de Nat King Cole émanant d'un disque. Laquelle revient ironiquement off lorsque voulant réintégrer le domicile conjugal, Nora découvre ses affaires dispersées sur le trottoir. Ce qui n'exclut pas, en extérieur ou en intérieur, un rendu du contexte sonore de grande qualité.
   Bref, cette œuvre travaillée sans prétention apporte bien plus au cinéma qu'un
Rain Man du même auteur, qui fut pourtant un succès monstre. 27/07/01 Retour titres