CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE



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Sharunas BARTAS
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Few of us  Lit. VO 1996 105' ; R., Sc. S. Bartas ; Ph. S. Bartas ; M. Vladimir Golovnitski ; Pr. Paulo Branco ; Int. Katerina Golubeva (la jeune fille), Piotr Kishteev (le vieillard), Serguei Tulayev (son fils).

   Transportée par hélicoptère puis tracteur à chenilles une jeune fille triste gagne aux premiers flocons de neige une vallée perdue et déshéritée (les Sayanes) où vivent les Tofolars. Un vieillard au visage sillonné de rides profondes montant un renne relié à trois autres à la queue leu-leu séjourne dans une cabane bordée par une rivière en pleine nature. Dans un village aux maisons de bois alignées le long d'un chemin défoncé, elle est accueillie par le même vieillard au sein d'une communauté au décor misérable et dégradé. Un lit crasseux et défoncé lui est attribué. La soirée est vouée à la vodka et aux chants hésitants accompagnés à l'accordéon. Les plus imbibés s'écroulent sur place en ronflant. La misère sanitaire se lit sur les tronches endormies cadrées serré. Deux rivaux dont le fils du vieillard tentent, l'œil prédateur, de coincer la visiteuse qui se protège à coups de pieds en brandissant un couteau.
   Épuisée, elle s'enfuit dans la cabane de l'autre côté de la petite rivière qu'elle traverse à pied. Elle est rejointe par le fils tandis que l'autre à cheval galope furieusement en tous sens. Le père traverse la rivière avec ses rennes et dépasse la cabane sans s'arrêter. Au matin le jeune homme se rafraîchit le visage sur la rive. Son rival à l'affût l'abat d'un coup de fusil. Le courant emporte le corps. La jeune fille écoute sans nulle manifestation d'espoir l'hélicoptère qui revient. En plan lointain et plongée, disparaissant totalement à intervalles au fond des dépressions du terrain, le vieillard chemine avec ses rennes à travers un vaste champ inégal aux hautes herbes maintenant tout couvert de neige. 

   Le résumé de cette suite assez confuse d'événements ne dit rien de l'essentiel, qui réside dans une expérimentation sensorielle de l'espace-temps exacerbée par le mutisme des personnages.
Quand ils ne chantent pas, ils grognent vaguement ou émettent quelques sons inaudibles. La consistance et l'étendue de l'espace sont rythmés par le silence et la lumière, c'est-à-dire pour l'un, dans de longs plans fixes, par une infinité de bruits naturels (écoulement de l'eau, choc des arbres agités par le vent, cris d'animaux, voix humaines diffuses à peine perceptibles, voire chute de neige).
   Les variations de luminosité en lumière naturelle sont fonction de l'heure, de l'avancement de la saison, du temps qu'il fait, voire de la présence dans l'air d'un élément diffractant : ainsi de la fumée dispensant un éclairage varié sur le visage de la jeune fille.
   Le déplacement en plans de grand ensemble de personnages à pied ou montés, soit en profondeur de champ soit d'un bord à l'autre horizontalement ou verticalement, sont la mesure de la durée de ces plans. De même pour la durée intérieure rendue par de gros ou très gros plans de visages sans éclairage artificiel.
   La face ravinée du vieux dont seuls remuent des yeux chassieux mais vifs coïncidant avec les gémissements d'un chien hors champ en vient à s'identifier avec l'animal, comme si le monde intérieur en butte au monde social appauvri et à la frustration était ici réduit à un en-soi instinctuel.
   Bartas démontre avec force que la lenteur cinématographique est source de richesses insoupçonnées, au contraire du cinéma dominant tétanisé par la peur de déplaire. On peut regretter néanmoins cette complaisance pour la déréliction qui appauvrit le personnage principal et du coup affadit la dimension humaine de l'ensemble.
   Reste pourtant que ce film fait progresser la conscience des propriétés du langage de l'art du cinéma (1). 9/08/02
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