CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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David CRONENBERG
Liste auteurs

Le Festin nu (The Naked Lunch) Can. VO 1991 110' ; R., Sc. D. Cronenberg d'après Burroughs ; M. Howard Shore, Ornette Coleman ; Eff. sp. Chris Walas ; Ph. Peter Suschitzky ; Pr. Jeremy Thomas ; costumes Denise Cronenberg ; Int. Peter Weller (Bill Lee), Roy Schneider (Dr Benway), Julian Sands (Yves Cloquet), Jan Holm (Tom Frost), Judy Davis (Joan Frost/Lee), Monique Mercure (Fadela), Nicolas Campbell (Hank), Michael Zelinker (Martin), Joseph Scorsiari (Kiki). 

   1953 : Bill Lee, toxico bisexuel, "exterminateur" de cafards de son état, vit son écriture à travers un délire hallucinatoire. La poudre de pyréthrine anti-cafard y pourvoit car écrire consiste à "exterminer toute rationalité" : le métier alimentaire d'exterminateur est une métaphore de l'écrivain.
   Médiatrices du verbe et de la chair, les machines à écrire se métamorphosent en cafards géants doués d'intelligence et de parole, à chair anthropomorphe et bouche sphinctérienne. Mais écrire, c'est aussi se frayer un chemin parmi des réseaux inextricables de pouvoirs divers dont on n'est pas forcément toujours libre.
   Une de ces bestioles, qui se dit "officier traitant" appliquant les instructions du Centre de Contrôle, charge Bill de tuer sa propre épouse, Joan Lee, agent ennemi de l'Interzone Cie. Il s'exécutera malgré lui par deux fois via le jeu de Guillaume Tell, la deuxième fois sur une réincarnation en la personne de Joan Frost. À la suite du premier meurtre, il doit, sur l'incitation d'un monstre osseux et plissé qui lui ressemble, s'exiler dans l'Interzone située sur la côte nord de l'Afrique. Le deuxième assassinat à la fin lui ouvre cruellement la frontière de l'"Annexie" où il avait accepté d'être l'agent du D
r Benway, un faux médecin impliqué dans les trafics de drogue, pour pouvoir récupérer Joan "sans laquelle il ne peut écrire". 

 Le jeu de Guillaume Tell comme démonstration d'écriture devait prouver aux douaniers la qualité d'écrivain de Bill (Écrire suppose la mise en jeu absolue de ce qui nous est le plus cher).
   La chair sanguinolente des coléoptères procure des sensations érotiques et la machine à écrire arabe se mue en un monstre mi-homme mi "centipède" qui vient participer aux ébats amoureux de l'auteur et de Joan II (réminiscences de
Possession de Zulawski (1980) ?).
   Puis la machine détruite par la volonté de la gouvernante Fadela - en réalité Benway, lesbienne du genre militaro-colonio-sadique à fouet, qui à la fin surgira de cette chair féminine éclatée, devient le monstre plissé-osseux, après réparation chez un artisan de la Médina. Des tubes organiques émergent au sommet du crâne, exsudant un exquis liquide laiteux provoqué par l'écriture. "Les mots se font chair" selon l'expression de Cronenberg lui-même.
   La gamme chromatique limitée du vert au brun, combinée à un éclairage diffus et modéré connote les années cinquante, déjà amplement évoquées dans des décors intérieurs témoignant du bas niveau économique consécutif à l'effort de guerre. Le pur jazz d'une audace anachronique convient pourtant à l'ambiance Beat Generation, laquelle s'incarne aussi dans les deux amis de Bill, sosies de Kérouac et Ginsberg. Les visages et le jeu des acteurs sont particulièrement étudiés avec toujours ce léger décalage qui fait la véritable étrangeté.
   Cadrages et angles jouant d'un imperceptible vertige, physionomie peu mobile et parole émise sans effort font de Bill un halluciné qui ne s'étonne de rien. La réalisation est tellement soignée qu'on regrette plus que jamais l'abus de la métaphore explicite qui, en crevant littéralement l'écran, provoque un déglonflage de sens.
   Et pourtant on ne peut dire que la gageure de porter du Burroughs à l'écran ne soit pas tenue. Cronenberg comme ses personnages, ne recule devant aucun risque mortifère. Voilà ce qui fait son prix
malgré tout. 25/02/01 Retour titres