CINÉMATOGRAPHE 

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Friedrich Wilhelm MURNAU
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Faust All. Muet N&B 1926 116' ; R. F.W. Murnau ; Sc. Hans Kyser, d'ap. Goethe ; Ph. Carl Hoffmann ; Déc. Robert Herlth, Walter Röhrig ; Cost. Georges Annenkov ; Int. Gösta Ekman (Faust), Emil Jannings (Méphisto), Camilla Horn (Marguerite), Frida Richard (sa mère), Yvette Guilbert (sa tante), Wilhelm Dieterle (Valentin), Hanna Ralph (la duchesse de Parme), Eric Barclay (le duc), Werner Fuetterer (l'archange).

   Vieille légende bien connue. Murnau et Hans Kyser suivent d'assez près le premier Faust de Goethe, le couronnant d'une Marguerite au bûcher. 
   Incapable de juguler la peste le savant Faust brûle ses livres et appelle à la rescousse les forces du mal après avoir vainement invoqué Dieu. Il ignore que le fléau vient
 de Méphistophélès lui-même qui, aux termes d'un pari passé avec l'archange, possédera la terre s'il parvient à le détourner de Dieu. Le prince de l'enfer apparaît à Faust, à qui est proposé un pacte à l'essai sur vingt-quatre heures. Faust signe de son sang. Grâce à ses nouveaux pouvoirs, il ressuscite une victime mais ne peut approcher une autre munie d'une croix. Le peuple le désavoue violemment. Méphisto le détourne du suicide en lui proposant la jeunesse. Faust accepte et devenu jeune séduit, grâce aux sortilèges infernaux, la duchesse de Parme sur le point de se marier. Mais au moment de consommer, le démon lui signifie les vingt-quatre heures écoulées. Il doit renouveler le contrat au prix d'une soumission définitive.
   Aucun des plaisirs à sa disposition cependant ne peut le combler. Il rencontre Marguerite dont il s'éprend et, poussé par le serviteur de Lucifer, s'introduit dans son lit. S'ensuit un duel avec Valentin, le frère, mortellement atteint, en douce par Méphistophélès. Les dernières volontés de Valentin, le pilori pour sa sœur, sont exécutées. Sa mère étant morte de saisissement cette nuit-là où, réveillée par Méphistophélès, elle a surpris sa fille dans les bras de Faust, Marguerite,
rejetée de tous, donne naissance à un enfant dans la rue hivernale. Lequel meurt sous la neige. Accusée d'infanticide, la mère est condamnée au bûcher. Le jour de l'exécution, Faust maudit son désir de jeunesse. Sa vieillesse lui est rendue en réponse au moment où il gravit le bûcher pour rejoindre Marguerite. Mais elle reconnaît en lui le jeune. Ils montent ensemble au ciel environnés de flammes. "Il me suffit d'un mot pour réduire ton pacte à néant, dit l'archange à Méphistophélès qui revendique son bien. - Lequel ? - Amour !" Dans le dernier plan le mot Liebe resplendit en gloire au ciel.   

   Combat du bien et du mal : un projet casse-gueule, comme tous ceux fondés sur des couples oppositionnels, ces excellents tourniquets métaphysiques par lesquels, tels des diablotins, 
affluent aussitôt les clichés, au mieux les dogmes candides, voir le dernier plan. La solution de l'amour n'annule pas la dichotomie fatale si elle substitue simplement au bien l'amour. Car l'amour n'est qu'un moyen. La force nécessaire pour incessamment arracher un peu de bien à la souveraine indifférence du réel. Travail prométhéen.
   Hélas ! le film de Murnau ne fait qu'accentuer grossièrement cette opposition, en donnant à Méphisto les traits les plus clinquants, les gestes les plus frelatés, les grimaces patentées du cabotin travesti, tentateur visqueux ou se bouchant les oreilles à la messe. À l'autre extrême Marguerite se pare des valeurs de la Vierge, de Jeanne d'Arc et même du Christ, soit par l'imitation des figures de Mater Dolorosa, soit par le choix des épisodes caractéristiques. Ainsi avons-nous droit à une Passion dans les neiges immaculées et à un bûcher johannique, alors que, autant que je sache, les mères infanticides au XVIe siècle étaient pendues, sauf à être brûlées comme prostituées surtout si elles étaient rousses. 
   De là une esthétique aussi de la dichotomie. Coins d'ombres épaisses contre prés fleuris ensoleillés. Dans l'ensemble, lutte du blanc éclatant et d'un noir absorbant les gris foncés. Ce qu'on appelle admirativement jeux de lumière. Jeux se voulant renchérir sur la stérile dichotomie tout en développant un esthétisme altier, qui ne colle pas du tout avec ce Satan de boulevard et ces effets spéciaux de kermesse. 
   Certes, la patte du maître se reconnaît aisément dans la façon inspirée, symbolique, dont est anticipé le forçage de Marguerite par celui de  la fenêtre, et surtout dans un cadrage usant de la plongée, de la contre-plongée et du décor montueux pour, évacuant les ciels, composer des plans émancipés des coordonnées newtoniennes, empruntant au passage quelques obliques expressionnistes ondulées. Mais comme le reste, comme les "jeux de lumière", les beaux clairs-obscurs dignes des grands maîtres de la peinture ou les envolées romantiques, ce qui ressortit à l'art n'est que mimétisme d'art, et reste dissocié de toute chair dramaturgique.
   J'entends d'ici les inconditionnels : "Comment osez-vous insulter au génie ?" Tout le monde, même Murnau peut se tromper, comme Faust. Moi aussi
à plus forte raison, auquel cas veuillez pardonner mon impiété, mon iconoclastie de mauvais goût. 28/02/18 Retour titres