CINÉMATOGRAPHE 

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Jean-Pierre JEUNET
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Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain Fr. 2000 116' ; R. J.-P. Jeunet ; Sc., Dial. Guillaume Laurent et J.-P. Jeunet ; Ph. Bruno Delbonnel ; M. Yann Tiersen ; Déc. Marie-Laure Valla ; Cost. Emma Lebail ; Pr. Claudie Ossard/UGC ; Int. Audrey Tautou (Amélie Poulain), Mathieu Kassovitz (Nino Quincampoix), Rufus (Raphaël Poulain, le père), Lorella Cravotta (Amandine Poulain, la mère), Serge Merlin (Raymond Dufayel, l'homme de verre), Jamel Debbouze (Lucien), Clotilde Mollet (Gina, serveuse), Claire Maurier (Suzanne, la patronne du bistrot), Isabelle Nanty (Georgette, la tenancière du tabac), Dominique Pinon (Joseph, le jaloux), Artus de Penguern (Hipolito, l'écrivain raté), Yolande Moreau (Madeleine Wallace), Urbain Cancelier (Collignon, l'épicier), Maurice Bénichou (Bretodeau), Ticki Hogado (l'homme des photomatons), André Dussolier (le narrateur, off), Frédéric Mitterand (lui-même, off).

   Surprotégée dans l'enfance en raison d'une maladie de cœur diagnostiquée par son père médecin parce que l'auscultation paternelle la faisait palpiter d'amour frustré, Amélie Poulain fait, le jour de la mort de Lady Di, une découverte qui va changer le cours de son existence. Un carreau de plinthe descellé par le choc d'un objet lâché sous le coup de la nouvelle de l'illustre décès, lui donne accès à la cachette murale d'une boîte en fer blanc enfermant des joujoux d'enfant mâle oubliés depuis les années cinquante.

   Episode exemplaire : ce n'est pas la mort de la star des médias qui compte mais un petit effet du hasard, forme de dérision de l'attente du spectateur déterminant une ironie particulière, mise en valeur par la voix
off du narrateur. Ironie n'épargnant guère les stratégies ordinaires de crédibilité nécessaires à tout récit qui se respecte, et qui requiert la complicité intelligente du spectateur.

   Amélie donc, décide de se mettre à la recherche du garçonnet maintenant quinquagénaire pour lui restituer la précieuse boîte. L'ayant retrouvé, elle ourdit, sans se faire connaître, une mise en scène de la miraculeuses récupération du trésor par son propriétaire. Les larmes du vieil enfant incline la jeune femme qui, pour sa part n'a jamais pensé à son propre épanouissement, surtout amoureux, à se consacrer désormais au bien des autres. Mais elle agit toujours comme une fée invisible, investissant les lieux privés, imaginant pour d'autres d'ingénieux signes de piste vers un possible
bonheur.
   Sans le savoir cependant, elle travaille pour elle-même, car au cours d'une de ces manigances fastes, elle s'éprend d'un collectionneur de photos déchirées, croisé à diverses cabines Photomaton du métro ou de la Gare de l'Est. Elle découvre qu'il travaille à temps partiel dans un sex-shop et à la foire du Trône comme squelette du train de l'épouvante. Mais trop timide pour se déclarer, elle l'entraîne dans un de ces labyrinthes dont elle a le secret. C'est un vieux voisin appelé l'Homme de Verre à cause d'une maladie des os, qui lui ouvre les yeux. L'histoire, dont toutes les péripéties n'étaient que les tours et détours de l'apprentissage de l'héroïne, peut se terminer par un échange de doux et, provisoirement on l'espère, chastes baisers.

   Voici un vrai conte moderne par la thématique de l'apprentissage sentimental dans un contexte actuel, sur la base d'un appel à la complicité de l'auditoire virtuel. Il met en scène le Montmartre mythique et la vie de bistrot sur un air d'accompagnement dans le goût populaire d'autrefois. Ce recul du temps participe, comme dans le conte traditionnel, d'un brouillage des repères, d'une déréalisation qu'achève le traitement numérique à dominante verte de la couleur.
   Un personnage comme l'Homme de Verre, introduit par le nom même une touche de merveilleux, remplissant le rôle consacré de l'"Adjuvant", celui qui aide le héros dans la tradition. Plus exactement il constitue une émergence du merveilleux sous-jacent lié aux pouvoirs d'Amélie, même s'ils restent compatibles avec la raison. Tout en outrepassant en apparence l'ordre du possible, ses actions restent en effet toujours rigoureusement explicables.
   Le nain de jardin
de son père serait un personnage merveilleux s'il n'était en plâtre. Cependant, en chargeant une hôtesse de l'air de ses amies de lui faire faire un tour du monde, dont témoignent les photos expédiées à son propriétaire stupéfait, Amélie lui insuffle un simulacre de vie. Elle-même est à la fois de chair et d'os et stylisée comme une figure imaginaire. En bref, tandis que le réalisme se déréalise, les mystères s'élucident.
   Le genre du conte cinématographique, pour autant qu'il soit possible, n'a rien à y gagner. Car l'excès de facticité est contraire à l'image filmique, le merveilleux même y a soif de justesse plus qu'ailleurs. Davantage, l'art du cinéma
(1) repose sur ce paradoxe que plus c'est vrai plus c'est poétique, et réciproquement. On peut regretter en tout cas que le merveilleux se résolve en énigme policière. Dans l'épisode des clichés déchirés du réparateur de Photomatons que trouve partout le collectionneur, sans savoir qu'il s'agit du test lié à toute intervention technique, un troublant mystère se trouve n'être qu'une question à mille francs.
   Enfin, il ne faut pas oublier que si, dans le conte verbal en général, l'irréel désarme les défenses du moi, qui peut alors s'ouvrir à une expérience de structuration, il s'agit d'un irréel dont la visualisation dépend de la mémoire de l'auditeur, c'est-à-dire de ses repères propres en rapport avec un monde réel. Alors que dans
Le Fabuleux destin, le rapport au réel est très faible.
   Au total, un divertissement rafraîchissant et stimulant, capable de vous réconcilier avec l'humanité telle qu'elle peut apparaître par le petit bout de la lorgnette. 22/12/03
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