CINÉMATOGRAPHE
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Mervyn LEROY
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Je suis un évadé (I Am a Fugitive From a Chain Gang) USA N&B VO 1932 93' ; R. M. LeRoy ; Sc. Howald J. Green et Brown Holmes, d'après le récit autobiobraphique de Robert E. Burns I Am a Fugitive From a Georgia Chain Gang ; Ph. Sol Polito ; Mont. William Holmes ; Pr. Warner/Hal B. Wallis ; Int. Paul Muni (James Allen), Glenda Farrel (Marie Woods), Helen Vinson (Helen), Noël Francis (Linda), Preston Foster (Pete), Allen Jenkins (Barney Sykes), Edward Ellis (Bomber Wells), John Wray (Nordine), Robert Warwick (Fuller), Berton Churchill (le juge).

   En 1919, James Allen revient décoré de la guerre en Europe, où il a servi comme sergent dans le génie. Sa mère l’engage à reprendre son poste à la fabrique de chaussures, mais l’armée lui a inspiré le désir d’une carrière dans le génie civil. Il finit par quitter un emploi où il s’ennuie. Le travail étant rare il devient itinérant, bientôt misérable. Il aurait même vendu sa croix de guerre si les brocanteurs n’en étaient déjà saturés.
   Mêlé malgré lui à un hold up sous la menace, le voilà injustement condamné à dix ans de pénitencier. Les conditions d’existence y sont inhumaines. Le forçat s’évade, passe en Illinois et trouve à Chicago un logement chez Marie, une jeune femme qui, pour ses beaux yeux, ajuste le loyer à sa bourse. Il se met en ménage avec elle sans l’aimer et à force d’étudier fait carrière dans une entreprise de travaux publics, jusqu'au rang d'ingénieur en chef. Marie apprenant son passé l’oblige par chantage à l’épouser. Elle rejette le divorce et le dénonce lorsqu’il tombe amoureux d’Helen.
   Mais les autorités se refusent à extrader ce citoyen exemplaire, lequel mène à l’aide des journalistes une campagne contre la cruauté des bagnes. L’autorité pénitentiaire lui promet de le grâcier au prix de quatre vingt-dix jours de bagne s’il se livre. Il y consent avec l’accord d’Helen, mais sa libération est sans cesse repoussée par la hiérarchie, qui n'oublie pas ses attaques publiques envers le régime pénitentiaire. Cruellement trompé dans sa bonne foi, le prisonnier "volontaire" s’évade au volant d’un camion avec un camarade qui est tué puis mène une existence clandestine au moyen du vol. Il intercepte secrètement sa fiancée pour lui dire adieu et s’évanouit dans la nuit.

   Réalisme documentaire au service d’une cause : celle de l’amélioration des conditions de détention dans les pénitenciers. Délicate entreprise, menée à bien en évitant tant bien que mal tout sentimentalisme grossier. La volonté de sobriété repose à la fois sur la limitation stricte du commentaire musical aux images de transition, le choix, avec l’aide de l’angle de prise de vue notamment, de la précision technique dans la reconstitution de la vie des pénitenciers, facilité par le montage elliptique à l'aide du fondu enchaîné, et qui va s’accélérant du début à la fin. Fondu enchaîné fulgurant quand il use de la métaphore. Le marteau du juge, par exemple, se surimprime à celui du forgeron scellant les chaînes du bagnard au plan suivant. Ou bien ce sont les coups de pioche qui provoquent par surimpression la chute des feuilles du calendrier, de sorte que la temporalité est faite de la substance même de la peine. Effets poétiques plus vrais que le réalisme documentaire en ce qu’il rend à la fois le fait et la souffrance qui s’y rattache. Le dernier plan, où le visage faiblement éclairé du fugitif, intimant le silence de la bouche et des yeux, disparaît dans la pénombre à reculons jusqu'au noir complet où résonnent brièvement le bruit précipité de ses pas est de même acabit.
Tandis que, par exemple, la poursuite automobile avec force dérapages contrôlés relève, elle, bien plutôt du spectacle de genre.
   La recherche du vrai cependant repose également sur le soin mis au traitement de la bande-son. L’espace sonore est ce qui donne de l’ampleur à l’espace visuel en l’extrapolant dans le hors champ, les mouvements de caméra, même s’ils sont ici aussi actifs que possible, étant toujours nécessairement limités par l’événement fixe ou le changement de plan. Que ce soit l’usine, la ville, la circulation ferroviaire, le pénitencier intérieur et extérieur (la carrière), etc., règne une présence invisible forte qui donne concrétude à l’illusion optique tridimensionnelle cadrée.
   Le protagoniste enfin offre une mobilité d’expression telle qu’elle épargne tout excès (voir Galerie des Bobines). L’outrance s’il en est provient du contraste avec les acteurs surjouant (la mère) ou stéréotypés (Bomber notamment, le copain qui meurt durant l’évasion).
   Voilà comment un excellent film social s'appuie finalement sur le star-system. D'où immense succès, qui entraîna fort heureusement des réformes dans le régime pénitencier. 8/02/10
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