CINÉMATOGRAPHE 

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Joanna HOGG
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The Eternal Daughter USA/GB 2022 96' ; R., Sc. J. Hogg ; Ph. Ed Rutherford ; Mont. Helle le Fevre ; M. Béla Bartok ; Prod. Martin Scorsese/BBC Film, Element Pictures, JWH Films ; Int. Tilda Swinton (Julie Hart/Rosalind Hart), Joseph Myhdell (Bill), Carly-Sophia Davies (réceptionniste).

    
   Julie Hart, cinéaste quadragénaire, descend dans un hôtel gothique perdu en pleine nature pour préparer un film sur sa mère défunte en compagnie du chien Louis, qui a appartenu à cette dernière. Laquelle a résidé jadis en ce lieu, sans doute château familial. Incapable de travailler en raison de la culpabilité qui la ronge, elle engage un dialogue imaginaire avec sa mère pour tenter de combler le fossé qui les sépare toujours. Ce qui se traduit dans le film par la présence de la défunte à ses côtés. Si les réponses à ses inquiétudes ne sont jamais celles attendues, un sens par-dessus le marché finit par s'imposer. Elle repart plus sereine avec le chien.

      
   
On pourrait distinguer quatre aspects. 1) Psychologique. Celui de la fille prisonnière de l'image de la mère à laquelle elle s'identifie, ce qui interdit d'abord le dépassement des conflits. Lequel s'opère avec la rencontre de Bill, le portier noir, dont la figure paternelle ouvre à la différence le rapport spéculaire. 2) Un filmage de la transversalité, sans doute l'élément le plus intéressant, par lequel des faits quelconques sont en réalité des relais essentiels de l'enjeu spirituel. 3) Le leurre narratif, consistant à dissimuler jusqu'au dernier moment la mère n'être qu'un fantôme dans la tête de "la" protagoniste. 4) Les ingrédients intensificateurs d'ambiance, aspect selon moi contestable en tant que recours à des moyens extrinsèques.

   Psychologique implique l'importance des mots, qui risquent alors de prendre le pas sur le cadre et le montage. Heureusement le dialogue à l'image présente les traits d'une situation imaginaire : non seulement une seule et même actrice - de plus excellent matériau vivant - pour les deux personnages, mais, à peine plus âgée que sa fille, la mère n'apparaît que dans l'au-delà du contrechamp. L'apaisement vient à la fin, non sans l'aide du contre-pouvoir du père de substitution, avec la vision de la mère mourante enfin vraiment beaucoup plus vieille.

   Transversalité : les casiers à clés indiquant l'hôtel vide de clientèle, le sac en plastique de la mère sur lequel butte à chaque fois l'hôtelière, le comportement hostile de celle-ci, la voiture à sono et moteur tonitruants, le chien fugueur. Autant d'éléments adventices pour soutenir de façon incidente la situation de hantise (hôtel vide, chien cherchant sa maîtresse morte), le malaise de l'incommunicabilité (sac à secrets sur lequel on butte, personnage rétif), poids de la culpabilité (le bolide intempestif).
   Le leurre narratif, procédé assez consensuel, constitue la stratégie rhétorique visant à différer le sens pour mieux le rassembler en fin de récit comme dans le roman policier.
   Les procédés d'intensification sont les quelques mesures empruntées à la "Musique pour cordes, percussions et célestat" de Bartok, et les ingrédients de film d'horreur, comme, dans un décor ad hoc, les sons inquiétants, les plongées et contre-plongées sur les escaliers, les brumes flottantes du parc nocturne, etc. Comme si Bartok en personne venait, en guest star, nous imposer son point de vue sur le film, et comme s'il fallait prendre appui sur un genre réputé divertissant pour donner substance au drame.  

   Au total, très véridique psychologiquement et même humainement, sans se laisser dominer par le discours verbal grâce à des moyens proprement filmiques, The Eternal Daughter n'en va pas moins s'abaisser à recourir à certaines facilités de spectacle. 5/04/2023. Retour titre