Le Vaisseau tragique (Eld ombord) Suède Muet N&B 1923 99' ; R. V. Sjöström ; Sc. Hjalmar Bergman ; Ph. J. Julius ; Pr. Svensk Filminspelning ; Int. V. Sjöström (Dick), Jennyh Hasselkvist (Ann-Britt Steen), Matheson Lang (Jan Steen), Maria Di Zazzo (Lill-Britt), Ida Gawell-Blumenthal (la mère d'Ann-Britt), Julia Cederblad (Eulalie), Josua Bengtson (Roff), Thekla Ahlander (la mère de Dick).
Débarqué de sa goélette au foyer, le capitaine marchand Jan Steen tombe sur Dick, ancien prétendant de son épouse Ann-Britt, la mère de sa petite fille Lill-Britt. Sa femme ne lui demande-t-elle pas en outre d'embaucher ce chômeur ? Il refuse et décide désormais de naviguer avec sa femme et sa fille. Endetté auprès de sa cousine Eulalie, qui héberge sa mère et nourrit des espérances sur lui, Dick pour se libérer tente sa chance auprès du courtier naval Roff, un filou qui le fait mariner. Un policier en civil lui proposant de s'infiltrer lors d'une expédition commanditée par celui-ci mentionne Jan Steen. Dick hors de lui répond, avant de lui envoyer un direct, que pour être un rival, ayant selon lui obtenu la main d'Ann-Britt grâce à sa position, il ne l'en tient pas moins pour honnête. En réalité, Jan a dû accepter une cargaison frauduleuse pour éponger sa dette envers Roff. Qui plus est, en remplacement d'un matelot blessé, le courtier lui impose Dick, ce dont le capitaine ne s'aperçoit qu'après le départ. Il enjoint le nouveau venu de s'engager sur un autre navire à la prochaine escale mais se ravise quand Dick sauve la vie de la petite, quitte à être maladivement jaloux de l'affection que celle-ci lui prodigue.
Cependant Dick découvre que la cargaison de fûts de beurre cache de la poudre à canon, et l'équipage se mutine derrière lui. Jan prend le dessus avec une violence décuplée par la jalousie, d'autant qu'Ann-Britt prend la défense de Dick, attaché au grand mât sous le fouet. Ann-Britt délivre Dick et fait front. Durant la dispute, elle fait une chute en apparence mortelle, ce qui pousse les passions au délire. L'équipage assomme Jan et le ligote inconscient à la place de Dick. Celui-ci descend dans les cales et, dans un geste suicidaire, met le feu aux fûts. Découvrant la poupée tombée là dans l'agitation, il change d'avis à la pensée de la fillette, mais en tentant d'étouffer les flammes tombe asphyxié. À la vue de la fumée l'équipage fuit en chaloupe.
Anna-Britt reprend ses esprits sous l'appel à l'aide de Jan. Délivré par elle il va chercher Dick qu'il remonte sans connaissance, la main crispée sur la poupée de Lill-Britt. Ann-Britt, Jan, Lill-Britt et Dick quittent en chaloupe le navire qui explose et sombre. Jan a tout perdu mais, s'est renforcé l'amour et trouvée l'amitié de Dick, qui a confectionné à son intention une maquette de goélette en remplacement de celle qu'il avait brisée par jalousie.
Fable d'une moralité assez forcée, son aspect le plus daté, mais on peut apprécier la finesse avec laquelle s'organise le récit filmique d'un tourment des âmes. Lesquelles sont prises dans les tourbillons de passions animées des mouvements les plus contradictoires. Prendre la défense de Dick, et même lui confier sa fibule, pour Ann-Britt ne veut pas dire coucher. L'inimitié de ce dernier pour Jan ne l'empêche pas de rendre justice à son honnêteté supposée. Jan sauve la vie à Dick en dépit de sa jalousie dévorante.
Et pourtant il y a bien désir et haine. Mais surtout autrement que par des mots. Certains objets y pourvoient. Jan a rapporté de son voyage, en même temps que la poupée destinée à sa fille, la fibule en forme d'anneau pour sa femme. À la demande de celle-ci, Jan l'en pique d'emblée à la main afin d'écarter, croit-elle, le mauvais œil. Or Dick s'étant blessé à la main en sauvant Lill-Britt de la chute accidentelle d'un mât, Ann-Britt le soigne en fixant le pansement à l'aide de la fibule. C'est à la vue de celle-ci épinglée sur la poitrine de Dick une fois la main guérie, qu'éclate la fureur de Jan, laquelle lui infuse l'énergie de maîtriser Dick à travers la mutinerie.
Cette fibule au parcours significatif est ambivalente. Elle charme autant qu'elle blesse, comme la passion amoureuse. C'est d'ailleurs avec des gestes soudain heurtés après avoir été harmonieux, qu'Eulalie manie l'aiguille quand Dick la repousse. La poupée, en revanche, associée à Lill-Britt, est gage de paix comme l'amour. La fillette scelle la poignée de main de la concorde trouvée. De main en main en passant par le cœur, la poupée finit par gagner sur la piqûre. Sur la chaloupe de secours, trois adultes, un enfant, une fibule et une poupée. Le baiser échangé entre les époux en plan très large à contre-jour est une image de paix. De paix dans le dénuement le plus total.
Ici intervient un nouvel objet, n'existant que par ses valant-pour, en soi impalpable : l'argent. Il est à la base des passions destructrices. Pas seulement pour Jan. Ann-Britt a failli sacrifier avec ses boucles d'oreille la fibule, décidément véritable nœud subreptice, pour couvrir les dettes de son mari. Endetté et convoité par sa créancière, Dick est prêt à tout pour s'en libérer. Ne déclare-t-il pas à Roff qu'il accepterait tout travail accrût-il la masse des charbons de l'enfer ? La paix requiert la pauvreté, et la dérisoire maquette substitutive était plus nécessaire qu'il n'y paraît. À la poupée de la concorde s'adjoint la maquette, du reste significativement dévoilée à son père par Lill-Britt, versant de l'amour sans haine.
Un quatrième objet va assumer le délire de jalousie combiné à celui de l'argent : le tableau. Tableau comme figure de l'hallucination de la passion. Jan découvre la présence de Dick sur le bateau de sa cabine, par l'apparition de sa tête à l'expression effrayante, par le carreau encadrée. Même vision, même angle mais avec la tête de sa femme quand il s'est retiré après l'interposition de celle-ci. En contre-champ, un tableau appendu symétriquement surmontant Lill-Britt et sa poupée confirme l'enjeu.
Il est question des feux de l'enfer, que suggère le titre original "incendie à bord", ou traduit le titre anglais The Hell Ship. La poudre dans la cale le métonymise et Jan est traité de diable par l'équipage. Comme principe du mal donc dans un monde foncièrement bon comme on pouvait le croire encore à l'époque. Il importait que le cinéma sût l'exprimer en transformant les matériaux issus du monde cognitif. 15/02/18 Retour titres