CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Sydney LUMET
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Douze hommes en colère (Twelve Angry Men) USA VO N&B 1957 90' ; R. S. Lumet ; Sc. Reginald Rose, d'après sa pièce ; Ph. Boris Kaufman ; M. Kenyon Hopkins ; Déc. Robert Markel ; Pr. Reginald Rose/Henri Fonda ; Int. Henri Fonda (Davis), Lee J. Cobb, Ed Begley, etc. 

   Sur les douze jurés réunis en salle de délibération pour décider du sort d'un jeune homme de dix-huit ans accusé du meurtre de son père, onze plaident coupable. Sur la base d'un simple doute, Davis, le juré n° 8 va s'employer à convaincre un à un ses partenaires, jusqu'à obtenir l'unanimité, indispensable en cas de crime, pour éviter la peine de mort.

   Ce huis-clos d'une absolue sobriété est pourtant passionnant de bout en bout. Essayons de voir pourquoi. Tout d'abord le microcosme y désigne habilement le monde. Au prologue d'abord, la caméra décrit l'extérieur du formidable édifice tout marbre et colonnades monumentales par un panoramique bas-haut n'excluant pas les sons de la ville bien présente, puis l'intérieur en mouvement inverse, captant diverses allées et venues ainsi qu'une bruyante bande d'étudiants qu'apaise de la main l'huissier posté devant la salle d'audience.
   Bien qu'enfermés au cœur du massif bâtiment, les personnages représentent des tendances extérieures bien réelles. La position dominante reflète en effet l'opinion moyenne dont les porte-parole sont ici les forts en gueule, regrettant tout ce "temps perdu pour les voyous". La middle class dont on voit peu à peu les échantillons socioprofessionnels sortir de l'ombre à la faveur des confidences successives : représentant, courtier, peintre en bâtiment, propriétaire de plusieurs garages, publicitaire, est manichéenne d'esprit : d'un côté les basses classes forcément coupables, "tous des menteurs", de l'autre les honnêtes citoyens.
   Exaspérés par la chaleur, la plupart veulent en finir au plus vite, ce qui favorise le même point de vue expéditif. L'un des enragés de la chaise électrique va jusqu'à plaider non coupable quand la majorité change de camp, pour abréger. Ce qui ne veut pas dire que le film, lui, soit manichéen. Bien que Davis appartienne en tant qu'architecte à une classe moins ignorante, en principe, on ne tombe pas dans un clivage petite-bourgeoisie/bourgeoisie. Il a d'emblée des alliés potentiels pour des raisons globalement indépendantes de la lutte des classes. Un homme de la même origine sociale que le prévenu, qui oblige les autres à nuancer leur mépris, un vieil homme dont l'expérience conduit à plus de clairvoyance, un "zappeur" non dépourvu de sensibilité et soudain troublé par un détail, un personnage que son honnêteté intellectuelle amène à ne changer d'avis que juste avant les deux derniers irréductibles, etc.
   Quant à ceux-ci, l'un est désavoué par les autres à cause de la rigidité de son discours, et le dernier, qui avait projeté sur le prévenu des difficultés personnelles avec son fils, finit par craquer et se range à l'avis général, conquis de haute lutte. Laquelle est menée par le juré n° 8 sur la base du doute, même si les autres ne sont peut-être parfois convaincus que par des raisons accessoires ou extrinsèques. Rien n'est prouvé pourtant, mais le doute s'instille dans tous les témoignages à charge. De l'autre côté, on prétend s'en tenir à des faits qui sont en réalité déjà des conclusions, procédé dogmatique bien connu.
   Le plaisir d'intelligence de ce démontage progressif est une des composantes d'un récit qui mérite la qualification de polyphonique. Non pas au sens de pluralité des points de vue, mais à celui d'une complexité des matériaux tendant à l'unité. L'électricité orageuse qui s'amasse dans l'air, la chaleur insupportable, le tonnerre, la pluie, le ventilateur qui se remet finalement en marche, participent symboliquement de la même évolution. Le son est d'ailleurs un élément capital, qui ne subit pas le dictat de la musique auxiliaire. Celle-ci ne se fait entendre que par deux fois pendant le débat, pour souligner une étape irréversible conquise par Davis.
   Quant à la caméra, elle est d'autant plus expressive que l'étroitesse de la pièce entraîne des contraintes qui assouplissent de façon nécessaire les mouvements du plan-séquence, forme reine dit-on de l'investigation. La table complète ne peut être saisie qu'en plongée. Plus le plan se resserre, plus le hors-champ s'agrandit. Le lent travelling avant permettant de passer du plan moyen au très gros plan sur le visage de celui qui parle, accompagne un progrès de l'esprit, en même temps que s'accroît la tension du hors-champ potentiellement agrandi. Mais il ne s'agit pas d'un visage quelconque. Rappelons le calme limpide de celui de Henri Fonda (Galerie des Bobines) opposé à l'amertume haineuse des vengeurs, cadrée au contraire fixement comme élément figé à résorber par l'action de ce véritable laboratoire de la justice. 29/10/02
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