sommaire contact auteur titre année nationalité
Henri-Georges CLOUZOT
Liste auteurs
Les Diaboliques Fr. N&B 1955 110' ; R. H.-G. Clouzot ; Sc., Ad., Dial., H.-G. Clouzot, Jérôme Geromini, René Masson, Frédéric Grendel, d'ap. Boileau-Narcejac ; Ph. Armand Thirard ; Son William-Robert Sivel ; Déc. Léon Barsac ; Mont. Madeleine Gug. ; M. (Générique et fin seulement) Georges Van Parys ; Pr. Vera film, Filmsonor ; Int. Simone Signoret (Nicole Horner), Véra Clouzot (Christina Delasalle), Paul Meurisse (Michel Delasalle), Charles Vanel (commissaire Fichet), Michel Serrault (M. Raymond), Pierre Larquey (M. Drain), Jean Brochard (Plantiveau), Noël Roquevert (M. Herboux), Georges Poujouly (l'élève Soudieu), Yves-Marie Maurin (l'élève Moynet).
Michel Delasalle, directeur et tyran d'un pensionnat de garçons à Saint-Cloud et sa maîtresse Nicole Horner, professeure au même, ont ourdi un plan pour se débarrasser de Christina, l'épouse cardiaque, détentrice du capital et souffre-douleur du mari bigame : simuler, en sorte que l'épouse le croit réel, le meurtre du potentat par les deux femmes, et faire apparaître le mort afin de provoquer une crise fatale à la malade déjà épuisée par les épreuves de la mise à mort.
Mais le film laisse croire au spectateur qu'unies dans le malheur, épouse et concubine ont vraiment assassiné en se ménageant un alibi. Nicole devait passer un week-end prolongé dans sa maison de Niort à quatre cents kilomètres. Elle s'y fait conduire à l'insu du mari très tôt le matin par Christina au volant de la petite fourgonnette de l'institution. Christina est alors contrainte par Nicole d'attirer Michel à Niort en lui annonçant par téléphone son intention de demander le divorce. Furieux il les rejoint par rail le soir suivant. Drogué au moyen d'un (faux) narcotique dans son whisky il est noyé (immergé un court instant par Nicole) dans la baignoire. Le "corps" est ramené de nuit et plongé dans la piscine de l'institution.
Déjà affaiblie par ces lourdes épreuves, Christina, qui est très croyante, est terrorisée par des faits inexplicables. Le corps a disparu de la piscine et l'élève Moynet affirme avoir été puni par le directeur. On rapporte du nettoyage le costume du noyé. Christina va jusqu'à identifier un noyé à la morgue pour lever le doute qui la torture. Finalement, au bord de la rupture, le cœur usé lâche à l'apparition du "mort" qui émerge dégoulinant de la baignoire de la pension. Les assassins seront démasqués par le commissaire en retraite Fichet, le grain de sable tombé du ciel.On ne comprend le fond de l'intrigue que tout à la fin, quand les amants s'étreignent auprès du cadavre en exhalant leur soulagement : "Elle nous en a fait voir. Le chameau ! Maintenant nous sommes riches ! - Combien allons-nous ramasser ? - Entre quinze et vingt ans de bagne, répond Fichet sortant de l'ombre."
Même si les pistes se brouillent encore, certes par jeu, quand le petit Moynet, qui disait avoir eu affaire au directeur alors censé être dans l'autre monde, affirme à la fin qu'il a vu la directrice.
Entre polar et horreur, tempéré par le jeu, avoué dans le clin d'œil à Zéro de conduite de Vigo par la présence d'un jeune Patard parmi les élèves. Mais tourné en décors réels, qui ancrent cette histoire invraisemblable dans un réalisme méticuleux. Voyez en ouverture l'arrivée de la Deux-chevaux par les rues de banlieue sous la pluie, le parapluie du passant, les arbres touffus comme autant d'odeurs et d'impressions vécues. Ce qui n'exclut pas un expressionnisme de film noir.
Ouvrage d'un travailleur exigeant, mené d'une poigne de fer, notamment de façon à soumettre Véra Clouzot à la vérité de l'instant sans avoir recours aux automatismes du métier. Les autres acteurs, à part Signoret, sont plutôt des types, en adéquation avec leur image populaire (Meurisse, Larquey, Roquevert), mettant en valeur les côtés sarcastiques et cyniques à souhait, ou encore pittoresques (Roquevert en petit-bourgeois maniaque, locataire de Nicole à Niort) des dialogues. Même Vanel était voué à incarner cet obscur bon-papa policier à l'action aussi souterraine qu'implacable.
On y retrouve ce partage caractéristique entre le sérieux nécessaire à la machine à frissons et le jeu qui en assouplit les articulations. Les ingrédients du suspense sont bien là ; un faux grain de sable à côté du vrai : le bidasse auto-stoppeur s'installant de force dans la fourgonnette auprès du cadavre enfermé dans la malle en osier. Tandis que le vrai, Fichet, fait, mine de rien, office de Deus ex machina. Les fausses alertes comme le portier allant pêcher quelque débris végétaux dans la piscine sous les yeux de Christina terrorisée à la fenêtre de sa classe.
Le point de vue de Christina est d'ailleurs conducteur. Il ne se manifeste pas seulement par ce regard opaque, comme inapte à exprimer une terreur d'autant plus présente. Mais aussi par le son. Celui du souffle oppressé, de l'étouffement et des hoquets, traduisant les constrictions organiques qui la perdent. Ou les grincements du couvercle de la malle en osier. Salutaire remplacement de la musique auxiliaire, qui sait modestement se cantonner ici aux génériques. Mieux vaut effet d'immanence comme manifestation du corps diégétique que de transcendance musicale, extrinsèque et dogmatique.
Cependant, le jeu véritable est, au-delà de l'ordre rhétorique et narratif, dans le symbolique.Importance à ce titre de l'eau, des poissons et des grilles. Une piscine, une baignoire, la Seine et même une flaque d'eau que la fourgonnette conduite par le directeur traverse en écrasant un petit bateau de papier. "J'ai l'impression que vous rêvez beaucoup d'eau" dit Fichet dans la droite ligne de la saveur du personnage. Plantiveau lui confie quant à lui que Delesalle est un homme qui sait nager, sous-entendu "entre deux eaux", par allusion ironique à la bigamie. Mais cet homme aussi ressort vivant d'une immersion prolongée comme un poisson. Du poisson avarié qu'il oblige Christina à avaler à table devant toute l'école. Poisson apparu à la cuisine en raccord avec le plan de la surface polluée de la piscine plein-cadre qui précède.
La grille, c'est celle du confessionnal en lien avec la piété religieuse de Christina, qui a dressé un autel dans la chambre à coucher conjugale. Curieusement, le lit y est adossé à un panneau ajouré selon diverses configurations de pièces de bois tourné évoquant l'édicule d'église. Mais cette figure se multiplie et même à outrance à travers le film en d'autres lieux, sous la forme de persiennes, panneaux ajourés de portes, de croisillons ornant les murs de l'institution, et même du grillage coulissant des ascenseurs de l'hôtel et de la morgue, avec leur complément, le clair-obscur hachuré. Jusqu'à la robe et la robe de chambre de Christina, dont le motif imprimé évoque des croisillons serrés.
Ce qui engendre l'atmosphère d'oppression d'une église, non sans évoquer la prison. La mort est ainsi présentifiée, mais à travers la culpabilité de la bigote en mal de confession. Décidément, Véra encore. Bien que Fichet soit impliqué dans la confession, non sans une certaine touche d'ironie.
Voilà donc un divertissement de haute tenue. c'est-à-dire soumettant, avec maestria, tous ses moyens à l'efficacité émotionnelle. Il n'a jamais été question d'autre chose. 08/08/18 Retour titre