CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Lidia BOBROVA
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Dans ce pays-là (V Toj Strane) Rus. VO 1997 85' ; R., Sc. L. Bobrova d'après les écrits de Boris Ekimov ; Ph. Sergueï Astakhov, Valeri Revitch ; Mont. Tatyana Zakhorova ; Son Igor Terekhov ; Pr. Roskino, Lenfilm, Narodnyi Film Productions ; Int. Dmitri Klopov (Nikolaï Skouridine), Vladimir Borchanikov (Tchapourine), Anna Ovsyannikova (Afanasievna), Alexandre Stakheyev (Saïka), Andreï Dunayev (Konstantin), Zoya Buryak (Raïssa). 

   Tourné en grande partie avec des non-professionnels au petit village Sibérien de Verkola encore organisé en coopérative, ce film se veut à la fois documentaire et fiction.

   L'éloignement des centres administratifs fait du maire Tchapourine l'autorité suprême, bien que son épouse soit meilleure négociatrice que lui. Il doit surtout lutter contre un fléau parmi les pires parce qu'émanant des victimes elles-mêmes : l'alcoolisme, responsable de la mortalité précoce. C'est un homme colérique mais généreux, renonçant à une cure gratuite au bord de la mer noire en faveur du vacher Nikolaï Skouridine, affligé d'un ulcère à l'estomac. Mais la mairesse doit aller négocier avec l'épouse et la belle-mère, qui persécutent le brave homme. Elle les convainc en alléguant que des voisins sont prêts à prendre la place. Au dernier moment cependant le séjour est annulé. Il faut encore ruser pour faire renoncer les matrones à cette distinction prestigieuse qui rejaillit sur la famille. Il suffit pour cela de mentionner qu'une veuve vorace louchant sur Nikolaï sera du voyage. Dans une autre famille matriarcale il faut marier Raïssa et il n'y a pas d'homme disponible. La mère et la grand-mère se résolvent à écrire à un détenu qui, débarqué à sa libération, se révèle un vrai tyran peu enclin à observer les règles communautaires. Ce qui ajoute un élément de risque à celui de l'alcool et pimente davantage le pittoresque ethnographique.

   Véritable témoignage donc de la vie quotidienne d'un village où les seules conséquences des bouleversements économiques sont l'appauvrissement général (donc l'aggravation de l'alcoolisme), voire la disparition de la monnaie comme a pu le vérifier sur place l'équipe de tournage. Ce qui permet en même temps de sauvegarder un échantillon de Russie profonde avec vodka, chants, danses, joies et drames. Sensible surtout dans la manière, empreinte d'humour, dont le regard se pose, un amour authentique du pays semble inspirer la réalisatrice mais il est étouffé par le réalisme documentaire, qui accorde plus de valeur à la chose filmée qu'au film.
   Ce qui entraîne une caméra avide abusant du zoom comme pour capturer le plus possible de "réalité". Or la vie est infiniment plus riche que toute représentation
(1), voire lui est incommensurable. On ne peut tout au plus avoir que des effets de réalité. Il ne reste qu'à bâtir des systèmes de sens aussi forts, multiformes, contradictoires, désespérés mais ouverts sur l'espérance, en un mot absurdes : il est de l'art de concevoir l'inconcevable du destin humain. La vision artistique commence lorsque cette réalité rétive est diffractée par l'esprit qui la rend sensible. Malgré l'humour, seule véritable touche de l'esprit ici, on en est bien loin.
   Et voilà que, s'alignant sur l'Occident, le jeune cinéma russe est en train de rompre avec la veine poétique qui avait fait de l'Union Soviétique un des phares du cinéma artistique
(2) mondial. 24/02/04 Retour titres