CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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David CRONENBERG
Liste auteurs

Crash Can. VO 1996 95' ; R., Sc. D. Cronenberg d'après le roman de J.G. Ballard ; Ph. Peter Suschitzky ; Mont. Ronald Sanders ; M. Howard Shore ; Pr. Stephane Reichel, Marilyn Stonehouse ; Int. Rosanna Arquette (Gabrielle), Deborah Kara Unger (Catherine), James Spader (James Ballard), Elias Koteas (Vaughan), Holly Hunter (Dr. Helen Remington).

   Un Cronenberg au sommet, développant sans nul doute une écriture et non des séries d'effets. Pas d'histoire donc mais le progrès de variations sur l'investissement libidinal de la pulsion de mort via l'automobile.

   James Ballard et son épouse Catherine se confient réciproquement leurs adultères. Le mari du docteur Helen Remington meurt dans un accident provoqué par James Ballard. À l'hôpital où il est soigné ce dernier rencontre Helen, très agressive à son égard évidemment, et un certain Vaughan, photographe médical, qui collectionne les photographies d'accidents de la route. Plus tard, Helen et Ballard font l'amour dans la voiture. Ils assistent à un spectacle clandestin organisé par Vaughan : la reconstitution de l'accident de James Dean.
   Le comble de l'érotisme c'est l'hécatombe routière. Il faut y sacrifier les corps biologiques et mécaniques, dont les propriétés sont permutables. Dans sa grosse Lincoln noire décapotable, Vaughan personnifie la violence destructrice nécessaire à l'orgasme, dont le spasme se confond avec celui de la mort. Il couche avec Ballard, qu'il tente ensuite d'écraser, et finit par un suicide spectaculaire sur l'autoroute. Ballard ayant récupéré la Lincoln toujours roulante à la casse, joue au chat et à la souris avec Catherine au volant de son cabriolet sport, au point que capotant dans le décor, elle est éjectée, sans doute gravement blessée mais sauve. "Ce sera pour une autre fois" lui sussure en la pelotant son mari. 

   Le corps érotique permute avec la mécanique et les couleurs froides de l'esthétique industrielle. Le monde environnant s'étage en formes géométriques de verre et de métal que relient des rubans de béton animés de flots ininterrompus investissant les trois dimensions. L'aplatissement de la profondeur et l'étouffement des sons par le zoom dans les plans généraux provoquent un vertige d'irréalité. Mais des plans rapprochés captent les conflagrations des déplacements d'air liés à la vitesse. À la faveur d'un faux raccord, Ballard, en pull gris cotte-de-maille dans des décors d'une rigueur médiévale, a encore la candeur du chevalier au Graal.
   La suavité des voix, comme le régime à la fois hésitant et grinçant de la musique de Howard Shore évoquent le suspens expectatif de corps érotiques au bord de la mutation. La sexualité est en train de s'émanciper des forces de vie.
   Une sourde ambiance fantastique, notamment par le jeu des achronies ou la personnification des voitures, efface le seuil des possibles. La puissante pulsation (la vision-audition en salle est ici révélatrice) de la Lincoln noire se déhanchant brutalement entre les files de voitures relève de la séduction animale. Le coït sur les cuirs rouge-chair de la lourde automobile se confond avec la machinerie en acte du lavage automatique dont l'ahanement rauque semble émaner de la poitrine de Vaughan, agressant comme un engin fou le corps de Catherine. La main amollie de celle-ci maculée du sperme de Vaughan paraît avoir capté le liquide savonneux de l'intérieur, alors qu'enduite volontairement de savon, elle n'avait pu provoquer l'éjaculation de Ballard à l'hôpital.
   Le corps de Gabrielle hybridé de biologie et de technologie mécanique est malmené comme un vulgaire objet. L'aspect vulvaire de ses cicatrices, que son partenaire semble vouloir forcer, excite davantage que le sexe.
   Bref, le dispositif d'écriture donne forme avec une douceur ambiguë au germe d'absurdité qui ronge déjà notre monde.
   Sans doute cette analyse vaut-elle davantage pour le roman de Ballard que pour le film de Cronenberg. Chez ce dernier il ne s'agit pas d'allégorie, mais la mort est un moyen de connaissance du corps. Un nouvel imaginaire érotique cherche à se faire jour en faisant violence au spectateur. 5/03/00 (cf. aussi D.W., "Danse macabre sur les routes" in Souffle et Matière. La pellicule ensorcelée, L'Harmattan, 2006, pp. 56-63). Retour titres