CINÉMATOGRAPHE 

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Alfred HITCHCOCK
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La Corde (Rope) USA VO couleur 1948 77' ; R. A. Hitchcock ; Sc. Arthur Laurentz d'après la pièce de Patrick Hamilton ; Ph. Joseph Valentine, W.V. Skall ; M. L.F. Rodstein, sur un thème de F. Poulenc ; Pr. S. Bernstein/A.Hitchcock/Transatlantic Pictures ; Int. James Stewart (Ruppert Cadell), John Dall (Brandon Shaw), Farley Granger (Philipp), Sir Cedric Hardwick (M. Kentley), Constance Collier (Mrs Atwater), Joan Chandler (Janet), Edith Evanson (Mrs Wilson), Douglas Dick (Kenneth), Dick Hogan (David Keatley).

   Couple homosexuel new-yorkais, Brandon et Philippe entendent mettre en pratique les théories de leur ancien professeur Rupert Cadel (James Stewart : Galerie des Bobines) en étranglant leur ami David dans leur luxueux studio. Puis ils donnent un cocktail "sacrificiel" sur le coffre où gît le corps de celui qui était invité avec sa fiancée Janet, ses parents, Kenneth, l'ancien flirt de Janet, et Ruppert. Anxiété durant toute la réception. Mais Ruppert, dont les théories "nietzschéennes" sont mal interprétées, soupçonne les apprentis-sorciers et finit par les confondre.

   Bien qu'encombré de traces de la satire sociale de scène new-yorkaise, le dialogue est truffé de propos cyniques, constantes allusions à la présence du cadavre. Tourné en huit jours, le film présente plusieurs aspects remarquables. Bien que comprenant onze plans (et non huit comme on le croit généralement), on le dit tourné en un seul plan en raison des raccords camouflés par occultation sur le dos d'un personnage (raccord "masque").
   En réalité, on compte quatre collures ordinaires sur sept, avec raccords de regard et/ou de son. Par ailleurs les plans, dont la longueur ne se confond jamais avec celle d'une bobine, non pas égaux (encore une inattention de la critique !) mais variant en durée (de 25'' à 9' 11''), indiquent un mode de scansion intuitif et non mécanique. Ensuite, derrière la vaste baie vitrée, les gratte-ciel new-yorkais sont les témoins menaçants, cernés d'étouffantes nuées, du drame.
   Le récit se déroulant en temps réel naît en fin d'après-midi et s'achève après la tombée de la nuit. Ce sont les changements extérieurs visibles et audibles qui rythment le film. La lumière extérieure se module insensiblement au fil du temps, prenant des tons orangés au coucher du soleil, puis les gratte-ciel s'assombrissent contre le ciel encore clair, des lumières s'allument ça et là, se mettent à clignoter, finissent par inonder l'intérieur du studio de rouge et de vert violemment alternatifs. De plus, par allusion évidente à Landru, se confondant avec celle des cigarettes à l'intérieure, de la fumée s'échappe de petites cheminées au niveau de l'étage.
   Klaxons et sirènes complètent sur le plan sonore le déroulement des événements visibles. Les manifestations extérieures ont un sens symbolique
(1) relatif au meurtre, mais elles affirment aussi la force normative et répressive de la ville s'exerçant contre les deux illuminés. Le plan 1 plonge sur une rue déserte, ne se peuplant qu'après le défilement du générique. Comme il n'y a pas de passage piéton, un policier en uniforme tenant deux enfants par la main arrête une voiture avant de traverser. Puis la caméra par un mouvement de grue se fixe par l'extérieur sur la baie vitrée occultée par un rideau, après avoir léché un morceau de terrasse en plongée totale. Le cri de la victime retentit. Un rapport est donc établi d'emblée entre la société avec sa pointe répressive, et le meurtre.
   La ville de New York participe de l'enveloppement de la scène du drame dans le hors champ. Les clignotements ont pour équivalents à l'intérieur le métronome interrompu par Ruppert et à l'arrière-plan le mouvement décroissant de la porte battante à ressort de la cuisine masquant par intermittences la lumière à l'intérieur.
   Un poulet rôti entier sur un plateau porté par Mrs Wilson à 28' fait suite à l'évocation de l'étranglement
par Philipp de poulets. Devant un tableau d'un modernisme lugubre, indice social affiché à l'arrière-plan, les paroles chuchotées face au coffre et les simulacres de signes de croix de Mrs Wilson en robe noire de curé, singent la cérémonie funéraire. Des éléments du décor intérieur ont un style religieux de tombeau ou d'église. Janet, dont la coiffure sous certains angles se dresse dédoublée, porte une robe de velours bordeaux aux épaulettes accusées de style gothique. Deux chaises vides contiguës et tendues de bleu préfigurent la place des accusés au tribunal (voire, la chaise électrique). L'expressionnisme des gigantesques lettres de néon à l'extérieur accentue avec le caractère de fragilité des criminels le malaise du spectateur.
   Le récit est conduit de main de maître. Rappelons à la 26
e minute l'arrivée silencieuse hors champ (!) de Ruppert. Sauf aux génériques, la musique se limite au morceau arrangé de Poulenc interprété par Philipp - mimant maladroitement avec un effet de décalage irréel - et un disque de musique d'ambiance.
   Le principal défaut provient du théâtre d'Hamilton, qui a fait dire que le film était bavard, sans doute parce que la satire bourgeoise est bien fade face aux hardiesses hitchcockiennes. On peut aussi reprocher à Hitchcock l'abus des mêmes allusions conduisant à des stéréotypes internes comme la fumée de Landru.
   Mais
Rope laisse une impression ineffaçable de réussite proprement filmique. 14/01/01 Retour titres