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La Comtesse aux pieds nus (The Barefoot Contessa) USA VO Technicolor 1954 128’ ; R., Sc. J. L. Mankiewicz. ; Ph. Jack Cardiff ; Mont. William Hornbeck ; Déc. Arrigo Equini ; M. Mario Nacimbene ; Pr. Figaro Inc. (J. L. Mankiewicz et Franco Magli) ; Int. Ava Gardner (Maria Vargas), Humphrey Bogart (Harry Dawes), Elizabeth Sellars (Jerry Dawes, son épouse), Rossano Brazzi (le comte Vincenzo Torlato-Favrini), Valentina Cortese (Eleonora, sa sœur), Edmond O’Brien (Oscar Muldoon), Warren Stevens (Kirk Edwards), Marius Goring (Alberto Bravano).
Au cimetière, le metteur en scène Harry Dawes évoque le passé de celle dont on célèbre les obsèques, rencontrée trois ans auparavant.
Le riche et cynique producteur Kirk Edwards fait engager pour un tournage la fière danseuse de cabaret madrilène Maria Vargas par son metteur en scène Harry Dawes après l’échec du factotum Oscar Muldoon. Sous le nom de Maria d’Amata, l’intraitable Maria Vargas devient star à Hollywood. Sa célébrité lui est fort utile quand elle retourne à Madrid pour, face au tribunal, témoigner en faveur de son père meurtrier de sa mère. Elle quitte le service de Kirk Edwards pour suivre en croisière le milliardaire sud-américain Alberto Bravano, sans avoir accordé ses faveurs à aucun des deux. Dans un casino de la Riviera française, ayant souffleté Bravano qui manquait de respect à Maria, le comte Torlato-Favrini, amoureux d’elle depuis qu’il l’a surprise dansant suavement en pull moulant et jupe fendue dans un camp gitan, emmène la jeune femme en cabriolet grand-sport jusqu'à son castel.
Le jour de leur mariage, il lui révèle être impuissant à la suite d’une blessure de guerre. Elle va confier à Dawes, qui se trouve là pour un tournage, qu’enceinte d’un domestique, elle aime son mari et entend garder l’enfant pour assurer la descendance. Après son départ, Dawes s’aperçoit qu’elle est filée par le comte. Il se précipite à leur suite jusqu’à leur demeure où retentissent deux détonations. Torlato-Favrini a vengé son honneur sur l'épouse et l'amant.
Les mythes de la femme fatale où insiste en filigrane Carmen sont amalgamés de façon tragique avec celui de Cendrillon : indomptable, au-dessus des contingences sociales, refusant les hommes dignes de son ascension sociale mais couchant avec les subalternes, l’héroïne ne vit finalement un conte de fées que pour sombrer dans la tragédie au sens classique du terme.
Ce pourrait être passionnant si ce n’était traité en Technicolor criard de la manière la plus conventionnelle, qu'aggrave commentaires verbeux, gestuelle théâtrale et scènes insipides s’étalant vainement dans le temps, comme la conversation londonienne de Muldoon au téléphone avec Dawes à propos du meurtre du père de Maria.
La distribution à plusieurs voix off empruntées aux protagonistes mâles, d’être totalement superflue, n’entraîne nullement l’originalité à laquelle on pouvait s’attendre. Contrairement à un Rashomon, au lieu de proposer autant de versions que de narrateurs, se complétant exactement tout en se contredisant, elles se ramènent à une seule voix qui les subsume implicitement. Le commentaire off se trouve d’ailleurs toujours faire double emploi avec l’image. « Le vieux père était là avec son air de ne pas savoir où il était », accompagne l’image du père au tribunal affichant l’expression adéquate. « Elle [Maria au tribunal] tenait la salle ». Une femme sort son mouchoir et se tamponne les yeux. « Des juges pleuraient » : un juge se mouche. À propos de Bravano : « Maria l’intéressait ». Au même moment Maria passe sous l'œil concupiscent du milliardaire affalé au fond d'un canapé. « Maria était la plus désirable des femmes » ; sur le pont du yacht trois hommes dardent en direction de la star en maillot un regard de stupeur alanguie, etc. C'est le moment de méditer les conseils assez railleurs de Bresson dans Notes sur le cinématographe : «« Le diable lui sauta dans la bouche » : ne pas faire sauter un diable dans une bouche. « Tous les maris sont laids » Ne pas montrer une multitude de maris laids. »
Les mouvements de caméra sont toujours dispendieux à l’excès, voire suscitent d'inutiles actions pour se légitimer, tout cela sans nulle participation au sens, et le montage se contente d’aligner systématiquement les fondus-enchaînés sans art ni nécessité aucune.
Le cliché fait rage, notamment dans les scènes de genre comme l'enterrement sous la pluie, ou la femme se jetant de désespoir sur le lit nuptial. Le personnage de Maria (Ava Gardner : Galerie des Bobines) représente au fond l’image de la femme émancipée qui émoustille le spectateur puritain des années cinquante, dont les fantasmes trouvent un terrain d’élection dans l’encanaillement lascif de la danse gitane. Les cadrages du domestique patibulaire à la dérobée, associés à la grossesse adultère suggèrent un genre de sexualité débridée par déclassement. Certes putain mais pourtant maman, lui est interdite toute sexualité qui engage son existence. Ce sont les esclaves qui pourvoient à l'hygiène glandulaire. Virginité publique en quelque sorte, corroborée par l'impuissance du comte et couronnée par la glaciale statue de la morte dressée sur la tombe. Seule importe la progéniture en l’occurrence et la comtesse peut congédier le géniteur par nécessité dynastique.
Les personnages sont tous figés dans un emploi ad hoc. Maria, exotique juste ce qu’il faut pour le zest d’érotisme hollywoodien mais beauté inaccessible sublimée par les éclairages savants (Hollywood toujours). Dawes : bon gros toutou fidèle (H. Bogard : Galerie des Bobines), désexué par la stabilité conjugale, est le confident idéal pour la réputation de la « princesse ». Muldoon, larbin des milliardaires, échine basse et visage mou, suant de trouille sous la férule. Face impavide de l'éternel salaud Kirk, dont par procuration on se venge avec délectation. Bravano, outrageusement maquillé comme hédoniste impénitent. Le comte enfin, noble chevalier au visage ouvert, sorte de Rainier III (alors encore célibataire) dans son décor de côte d'Azur, pour mieux faire passer l’extrême cruauté de son acte.
Ce manque d’imagination flagrant se concrétise dans le recours aux bons mots tels : « Le yacht est blanc mais n’est-ce pas de la boue ? ». « Il y a comte et comte, dit le souverain invité par Bravano. Chez les comtes, lui est roi, comme chez les rois, je suis un pitre ». Aucun humour pourtant ! Les noms de l’Américain Black, du Français Blanc, et de l’Anglais Brown ne font pas rire car l’humour ne tolère pas le faux qui se prend au sérieux.
Et pour les étourneaux qui manqueraient la grossière signalisation, il y a le commentaire musical : guitare, violons, clarinette et piano dont je laisse à des enfants de quatre ans le soin de deviner les emplois. Seule originalité, mais étouffée par la médiocrité d'ensemble, l'antithèse tragique de l’éclat de rire collectif de la noce parvenant au moment de l’aveu dans la chambre nuptiale. Encore que l'hilarité collective de sonothèque appartienne aux accessoires largement resservis depuis une bonne décennie, au moins (Citizen Kane, 1940).
En bref : sous la bannière starisée du bienséant mélo, le trouble de la vulgarité d'âme.
S'ensuit une inquiétude : que veut dire "chef-d'œuvre" en ces bouches unanimes portant La Comtesse aux nues ? 31/01/10 Retour titres