CINÉMATOGRAPHE
et écriture


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Vincente MINNELLI
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Comme un torrent (Some Came Running) USA VO Scope couleur 1958 127' ; R. V. Minnelli ; Sc. John Patrick et Arthur Sheekman, d'après James Jones, Some Came Running (1957) ; Ph. William H. Daniels ; M. Elmer Bernstein ; Pr. Sol Siegel/MGM ; Int. Frank Sinatra (Dave Hirsh), Dean Martin (Bama Dillert), Shirley McLaine (Ginny Moorhead), Martha Hyer (Gwen French), Arthur Kennedy (Frank Hirsh), Nancy Gates (Edith Barclay), Leora Dana (Agnes Hirsh), Betty Lou Keim (Dawn Hirsh), Carmen Phillips (Rosalie).

   À la fin de la guerre, Dave Hirsh, écrivain démobilisé encore en uniforme, se remet d'une cuite dans le car entre Chicago et Parkman, sa ville natale, en compagnie de Ginny, une fille de joie, qui lui affirme que c'est lui qui l'a invitée. Ils sont importunés par Raymond, un soupirant éconduit qui considère Ginny sa propriété. Dave se débarrasse cavalièrement de celle-ci et, au lieu de descendre chez Frank, son riche frère banquier, prend une chambre d'hôtel. Il fait même déposer un chèque important à la banque rivale. Mais tout se sait dans cette petite ville de l'Illinois et c'est son frère qui vient l'inviter malgré l'opposition de sa femme Agnès. Celle-ci a beau annoncer qu'elle ne sera pas là, espérant visiblement tirer quelque prestige d'une brillante soirée, elle l'accueille à dîner avec des amis cultivés, les French, une jeune femme professeure de littérature et son père. Dave s'éprend de Gwen French, qui s'intéresse à lui sur le plan littéraire.
   Entre-temps, il sympathise avec le joueur de cartes professionnel Bama Dillert (jeu sur "dealer", donneur de cartes)
. Après quelques joutes Bama lui propose de l'héberger. Dave se met avec Ginny, qui non seulement s'entend bien avec Rosalie, la maîtresse de Bama, mais aussi fait le ménage par amour. Il demande pourtant la main de Gwen, qui est sensuellement tentée. Elle parvient à faire éditer sa dernière nouvelle, mais reste hésitante puis rompt définitivement à la suite de la visite de Ginny, qui lui confie aimer Dave. Ses fréquentations douteuses n'empêchent pas Dave de prendre soin de sa nièce Dawn, qu'il met en garde contre les tentations faciles. Touché par l'amour immense de Ginny, il l'épouse. Mais Raymond refaisant surface tire sur notre héros, blessé sans gravité. En voulant s'interposer,
Ginny tombe morte dans ses bras.

   Adaptation imbue de perfection, d'un best seller d'actualité
, au point que la réalisation emprunte la voie directement opposée à la critique sociale censée constituer le fond du scénario. Car il ne s'agit nullement de perfection filmique mais de l'instrumentalisation de valeurs esthétiques extrinsèques : les acteurs, le roman, la musique, la peinture, voire le cinéma des autres. Et d'une rhétorique éculée de mélodrame qui n'est pas faite pour arranger les choses. Où n'a-t-on pas déjà vu cette malheureuse fille perdue que l'amour aurait pu réhabiliter si elle ne s'était sacrifiée pour son homme, en réalité pour la bienséance du film ? 
   Ce n'est pas un hasard si le rôle du héros est tenu par Frank Sinatra dont la célébrité, l'uniforme et les toutes puissantes relations s'accordaient fort bien aux avantages du best-seller à l'affiche. Lequel impose au film en effet la technique du roman par les multiples fils narratifs entrelacés (correspondant au frère, à Gwen, à Ginny, à Dawn, à Bama, à Raymond) autour du protagoniste. Le cinéma se prive ainsi d'un atout majeur : l'ubiquité impliquant l'ellipse.
   Ce lourd marquage des effluents de l'action entraîne évidemment un empâtement du flux temporel. D'autant qu'il est surdramatisé par la musique, véritable partition déversant un pathos qui pèse à tout instant sur l'appréhension de l'image-son. Cette dernière rehaussée d'une palette artificielle dont paraît-il Minnelli se montrait fier pour des raisons d'expressivité, sans se rendre compte sans doute de ce que la couleur à l'image a une forte prégnance, dévastatrice pour le vrai : car l'accentuation rhétorique de la polychromie ruine la crédibilité humaine de l'action.
   La
tendance à la surcharge se confirme avec le décor forain de la séquence finale censée dramatiser le dénouement. Vieux cliché cinématographique dont l'auteur est si peu conscient qu'il va jusqu'à plagier la scène finale de L'Inconnu du Nord-Express (Hitchcock, 1951). Ce mauvais goût culmine dans le sentimentalisme niais du geste ultime consistant à placer sous la tête de la morte l'oreiller fétiche offert par Dave.
   En fin de compte tout cela semble trahir une peur de la liberté. Shirley McLaine est la seule qui prenne des risques avec la civilité (Dean Martin est un bien sage marginal). Que venait-elle faire dans cette galère ? 10/01/09
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