CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Paul LENI

Le Cabinet des figures de cire (Das Wachsfigurenkabinett) Al. N&B teinté 1924 83' ; R. P. Leni ; Sc. Henrik Galen ; Ph. Helmar Lerski  ; Pr. Neptun Film ; Int. Emil Jannings (Harun Al-Rachid), Conrad Veidt (Ivan le Terrible), Werner Krauss (Jack l'Éventreur), Wilhelm Dieterle (L'écrivain/Assad), Olga von Balaieff (la fille du forain/Zarah), John Gottowt (le forain).

   
Le propriétaire d'une baraque foraine de figures de cire engage un jeune écrivain pour rédiger à fins publicitaires trois récits inspirés respectivement des mythes de Haroun Al-Rachid, Ivan le Terrible et Jack l'Éventreur. En compagnie de la fille du forain penchée sur son épaule, le conteur se lance dans le premier récit, tirant narrativement parti d'un bras manquant à la statue de cire du Calife. Les personnages principaux, le boulanger Assad et sa femme Zarah, prennent à l'image les traits des deux jeunes gens. 

   Le Calife Haroun Al-Rachid ordonne à son vizir de supprimer le boulanger dont la fumée du four l'incommode. Mais le dignitaire est distrait de sa mission par la beauté de la boulangère, elle-même troublée à son contact. Jaloux, Assad lui promet l'anneau magique du Calife. La nuit tombée il se glisse dans le palais. Cependant le vizir ayant évoqué à son retour la beauté de Zarah a mis l'eau à la bouche du calife. Lequel, déguisé, sait où diriger ses pas pour sa coutumière sortie de débauche nocturne. En l'absence d'Assad il surprend chez elle son épouse à laquelle tout en flirtant aimablement il explique le maniement de l'anneau magique. Mais le boulanger rentre au logis, l'anneau au bout du bras tranché d'un faux Calife placé dans le lit du souverain pour donner le change. Le Calife se cache dans le four à pain tandis que, rattrapé par la garde qui envahit la boulangerie, Assad est accusé de parricide. Instruite du subterfuge par la voix dans le four, Zarah simule avec l'anneau postiche le vœu de faire apparaître le Calife en vie sur le champ. Celui-ci obtempérant, Zarah enchaîne sur le vœu qu'Assad deviennent le boulanger du calife, ce que ce dernier accepte avec bonhomie.

   Retour à l'écrivain passant au récit d'Ivan le Terrible. Le cruel tire jouissance de l'empoisonnement des suppliciés, que pimente un sablier magique se vidant synchroniquement avec le processus de l'agonie pour peu que le nom de la victime y ait été inscrit. L'astrologue qui l'accompagne dans les chambres de torture avertit l'autocrate que le mélangeur des poisons pourrait y inscrire son propre nom. Devant être conduit en traineau à la cérémonie par un boyard qui marie sa fille, Ivan prend la précaution d'échanger leurs rôles. L'homme coiffé de la tiare est assassiné durant le trajet à la place du titulaire. Au mariage dont les protagonistes ont pris les traits de l'écrivain et de son aimable admiratrice, interdisant de pleurer la mort du père de la fiancée, le tyran force les musiciens à jouer et l'assistance à danser, puis envoie à la torture le fiancé qui l'accusait du vol de sa fiancée, ce qu'il entend rendre effectif. La jeune femme se refusant il échange la grâce du supplicié contre la nuit de noces. Mais l'astrologue met fin au marché en annonçant au despote qu'il a été empoisonné, et que sa mort coïncidera avec la chute du dernier grain de sable. Pris de folie le tsar n'aura de cesse de retourner le sablier le reste de son existence.

   L'écrivain maintenant seul face à l'effigie de Jacques l'Éventreur va contempler la fille endormie derrière un rideau. Il s'assoupit lui-même rêvant en bleu teinté que, poursuivie par l'Éventreur, elle se jette épouvantée dans ses bras au milieu d'un décor fractionné et tournoyant de la foire en surimpression. Le couple fuit devant l'assassin, mais l'écrivain est poignardé. En sépia, assisté de la fille, il se réveille retirant le poignard, qui est son stylo. Les deux jeunes gens s'étreignent.   

   
   
Les deux premiers récits s'encadrent dans le récit principal avec lequel ils interfèrent, alimentant l'idylle de la fille du forain et de l'écrivain. 

   Sous la bouffonnerie incarnée surtout dans le personnage du Calife, le premier se signale par un érotisme digne des Mille-et-une nuits. À l'aplomb de la fenêtre occupée, comme inaccessible, par la belle Zarah, les mains d'Assad s'acharnent dans le pétrin, puis dans un plan plus serré s'agitent hors-champ sous la ceinture. Son épouse se plaint par la suite de ce qu'il en a maculé sa robe. La facile substitution du calife au vizir, suite au départ duquel Zarah se farde avec coquetterie, indique le registre dionysiaque du désir. Le corps de la jeune femme semble tout embrasé par les configurations jaillissantes de la paroi rupestre derrière elle. Au départ d'Assad, elle se love dos-caméra sur un sofa, la croupe saillant au premier plan face à la porte en forme de vulve où survient Haroun Al-Rachid qui, ouvrant largement son manteau exhibe un yatagan dressé. Zarah manifeste quelque pudeur de ce que sa pauvre robe laisse échapper au jour quelques parcelles de chair lisse. Ce à quoi le potentat réplique que le manque de vêtement ne le perturbe nullement. 

   Assad parallèlement se perd dans les circonvolutions régressives d'un réseau de boyaux donnant accès à la chambre du calife, dont la crâne badinerie exhibitionniste n'étaient qu'avatars du bras mutilé de la castration. Il n'a pas hésité du reste à rentrer assez piteusement dans le four, regagnant le monde des entrailles de la théorie sexuelle infantile. Élu par la femme à la dignité de boulanger du palais, c'est-à-dire de mâle dominant, Assad a gagné la protection du calife-eunuque, qui enveloppe le couple de son manteau. Tout cela sous des éclairages trop ingénieux de vouloir inquiéter par eux-mêmes, en décors peints des plus complaisants dans l'exotisme stylisé, ce qui ramène à la condition théâtrale en nous privant de la seule chose en laquelle on puisse croire au cinéma : l'image de la réalité mais sous forme de matériau transformable. Le burlesque même y perd son tragique fondamental pour verser dans la farce.

   Dans le deuxième volet, ceci en parfaite conformité avec le cinéma primitif, la fabrique du décor, à plier la faculté des corps à la facticité du milieu, doit faire reposer l'intrigue de la cruauté sur des jeux de scène granguignolesques et sur une gestuelle de la contorsion et de la grimace dûment modelée par des éclairages tourmentés ricochant immodérément sur le blanc des yeux.

   Effort certain de variation, le rêve de la troisième partie est cependant une débauche d'effets en surimpression sur la base d'une tautologie esthétique : faire de l'illusion onirique à partir de l'illusion foraine, de plus compliquée d'un éclatement des espaces que dramatise la figure de la roue comme destin.

   Une fois de plus, l'expressionnisme cinématographique m'apparaît comme l'agitation vaine d'une matière de l'expression extrinsèque. 09/11/22 Retour titres