CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


sommaire contact auteur titre année nationalité


Germaine DULAC
liste auteurs

La Cigarette Fr. N&B Muet 1919 56' ; R. G. Dulac ; Sc. Jacques de Baroncelli ; Ph. Louis Chaix ; Prod. Le Films d'art ; Int. Denise Guérande (Andrée Brabant), Pierre Guérande (Gabriel Signoret), Maurice Herbert (Jules Raucourt), Geneviève Williams (Irène de Tramont).


   Époux quinquagénaire de la jeune Denise, le conservateur du Musée d'art oriental Pierre Guérande étudie la momie d'une princesse égyptienne frivole épousée par un vieux roi. Lequel, trompé, songe au suicide. Mais n'en ayant pas le courage, se fait donner la mort au moyen d'un gâteau empoisonné à un moment non-fixé. Le savant égyptologue soupçonne à tort sa femme de le tromper avec le séducteur Maurice Herbert "à qui la danse et le golf tiennent lieu de carrière". Mais attribuant la cause de l'adultère à la disparité d'âge, choisit de disparaître en pardonnant. S'inspirant alors, outre l'époux royal de la momie, d'un monarque persan pareillement trahi, qui fit empoisonner l'un parmi cent narguilés utilisés aléatoirement, il injecte un poison mortel dans une cigarette mélangée à quantité d'autres dans un coffret. Le récit passe sous silence que Denise, se doutant déjà de quelque chose à certains indices, était tombée par hasard sur la lettre d'adieu circonstanciée du suicidaire par avance rédigée. Elle a donc remplacé toutes les cigarettes et redoublé de tendresse pour détromper le malheureux, sans se priver néanmoins de tenter malicieusement de partager avec lui sa cigarette. En raison de péripéties contraires, tout ne s'apaise qu'à la fin avec, assortie d'une protestation d'amour, l'aveu de la combine dont le spectateur prend connaissance en même temps que le mari.


   Charmante histoire d'amour d'un couple désassorti sur le fil du rasoir, implicitement comparé, avec une candeur assumée, à une paire de colombes gîtant sur la fontaine à jet d'eau du jardin, vieux topos littéraire de la rencontre amoureuse. C'est construit comme un roman policier avec ellipses et fausses pistes et donc suspens et résolution ultime du conflit, mais crédibilisé par le décor naturel parisien. L'intérêt en est renforcé par le parallélisme romanesque avec l'histoire antique, donnant un certain piquant par l'identification de l'héroïne avec une momie curieusement dotée d'un regard à la fois aigu et louche.
   La réalisation témoigne d'une belle maîtrise de direction d'acteur sans les outrances du temps, et de la filmicité comme économie. Les raccords de montage à l'iris relient mutuellement les plans par un effet de longue-vue comme si l'on pouvait atteindre visuellement un plan depuis le précédent. Mais il fait aussi concurrence aux variations d'échelle de plan à se resserrer et se desserrer en présentifiant l'œil à l'objectif de l'observateur virtuel. Le gros plan est plus neutre que le serrage à l'iris, sa forme rectangulaire n'évoquant pas l'objectif. Cela a pu jouer dans le fait qu'il a été abandonné depuis. L'alternance des grosseurs de plan met l'accent là où il faut, de même que l'éclairage. Celui-ci même avec malice, lorsque le casier de la salle de bain nocturne contenant le poison est éclairé soudain par la lumière extérieure, à l'approche rejetée hors-champ du mari ouvrant la porte supposément située à l'opposé.
   Voilà bien au total, en raison de ses choix thématiques et de sa stratégie narrative faite à la fois de parallélismes et de procédés de retardement dans une stricte économie, un digne ancêtre de nos meilleurs divertissements. 15/09/24 Retour titres Sommaire