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Chronique d'une disparition (Segell Ikhtifà) Palest.-Isr.-USA-All.-Fr. VO (arabe, hébreu, russe) 1996 84’ ; R., Sc., Pr. E. Suleiman ; Ph. Marc-André Batigne ; Mont. Anna Ruiz ; Son Jean-Paul Much ; M. Alla, Abed Azria ; Int. E. Suleiman (lui-même), Iaha Mouhamad (l’écrivain), Ula Tabari (Adan), Nazira Suleiman (la mère), Fuad Suleiman (le père), Jamel Daher (le patron de Holyland), Julliet Mazzawi (la tante), Fawaz Eilemi (Abu Adnan), Leonid Alexeenko (le pope).
Venant de New York, Elia rentre chez lui, à Nazareth, pour tourner un long métrage. Sont filmés dans le quotidien une tante, sa mère et son père, un écrivain qui raconte une histoire, ainsi qu'une boutique d'objets religieux, "Holyland", une terrasse de café, l'intérieur d'un autre café, l'achat d'une voiture dans un garage, mais aussi un bateau de loisirs sur la mer à quelques kilomètres de là (le pays est petit) où de vieux copains s'adonnent à la pêche en chantant.
Puis à Jérusalem, Adan, une jeune femme arabe et qui ne le cache pas, cherche en vain un appartement. Elia y occupe une maison où il tape le scénario de son film sur ordinateur simultanément à la projection, entrecoupée de cartons désinvoltes tels que : "le jour suivant", "le jour suivant", etc.
Après avoir trouvé un talkie-walkie de la police, il est surveillé et sa maison est investie par des hommes armés. Le précieux accessoire termine dans les mains d'Adan, qui en use pour lancer des ordres absurdes aux policiers. Elle est arrêtée. Elie rentre chez ses parents qu'il trouve endormis devant la télé après la fin des émissions.
Divisée en deux parties ("Nazareth, journal intime" et "Jérusalem, journal politique"), chronique à bâtons rompus, mais comportant des fils conducteurs : le narrateur-acteur, sa famille et leur maison de Nazareth, la maison d’Elia à Jérusalem, la voiture achetée par deux quidams à Nazareth et que conduit Elia, la terrasse du café, "Holyland", le bateau en mer nuit et jour.
Extrêmement statiques en général, les plans traduisent l’inaction d’un peuple exclu de la vie économique et sociale, condamné à l’immobilisme en contraste avec une police sur le pied de guerre.
Dans son magasin d'objets pieux, en plan fixe, Jamel s’évertue à maintenir debout un dromadaire miniature qui s’obstine à perdre l’équilibre. Ceci avec un luxe d’efforts inutiles. À chaque fois qu’il sort du champ la figurine retombe. Il revient donc par un bord, la redresse et ainsi de suite, jusqu'à ce qu’il pense à utiliser du ruban collant. Satisfait il quitte donc le champ. Mais alors que sonnent les cloches de l’église voisine, l’animal miniature s’abat encore.
Statisme qui n’est pas sans être caricatural. Jamal et Elie sont assis tout le jour sur le seuil de la boutique et le grincement du présentoir de cartes postales pivotant sous l’effet du vent souligne plaisamment le farniente forcé faute de clientèle. De même que la petite équipe de copains qui s’adonnent jour et nuit à la pêche en mer semble bénéficier d’éternelles vacances.
Le rôle atypique de l’auteur-narrateur-acteur, le plan fixe à plusieurs actions ou événements simultanés, souvent distant ou usant de l’interposition d’un chambranle, d’une fenêtre, en montage cut, ainsi que la répétition comique, brisent toute tentative d’unification linéaire sur la base de l’identification au hors-film : spectateur et réalité.
Pris dans un jeu interne qui secrète ses propres valeurs en un registre ironique, on est au-delà du débat politique. Faut-il par exemple aller chercher une intention dans la coïncidence entre la sonnerie des cloches et l’instabilité du dromadaire ? Y voir une sorte d’avertissement divin au marchand arabe (qui peut du reste aussi bien appartenir à la minorité chrétienne) de flacons d’eau bénite et autres saintes babioles chrétiennes, serait arrêter le jeu, avoir une lecture littérale et réductrice.
Nous est proposé simplement un état des lieux. C’est un fait que coexistent là des religions et des langues différentes. Aussi bien est-ce un prêtre du monastère orthodoxe de Tibériade qui, alors que deux hors-bords à l'arrière-plan tracent rageusement sur le lac pollué de vaines arabesques d’écume, déplore les ravages du développement économique en ce lieu qui vit Jésus marcher sur les eaux.
Ainsi, quand flotte l’étendard bleu et blanc au son de l’hymne national israélien marquant la fin des émissions de la télévision, les parents d’Elie étant endormis face à l’écran en un plan fixe se prolongeant après la disparition totale des images, ce n’est pas une insulte au drapeau, mais la figure d’une situation absurde reflétant le quotidien des Palestiniens d'Israël. Et la chanson qui conclut ne parle que de fraternité et d’amour.
Film crédible donc à plus d’un égard : non dogmatique il se joue, avec l’appoint du son direct, sur la base de tranches de vie qu’on dirait prises sur le vif et qui se corroborent avec rigueur dans la discontinuité.
Face-caméra, l'écrivain rapporte un récit de son grand-père qui, ayant servi dans l'armée ottomane (donc du temps où la Palestine appartenait à l'empire, c'est-à-dire avant 1922) où, pour s'épargner l'ordinaire avarié, il fit un jour la dépense d'une tête de mouton farcie chez un marchand ambulant d'Istamboul. Récit resservi systématiquement à chaque occasion par le vieil homme oublieux, mais ce qui fait le sel c'est que l'écrivain, en rapportant ce trait, réitère effectivement la même anecdote avec de légères variantes. On peut dire que ce genre de comportement contient une vérité inimitable en dévoilant une particularité palestinienne. Si vive est la prise donc que cela peut confiner à une loufoquerie totalement délivrée du vraisemblable et, pour cette raison, encore plus vraie que ce qui serait conforme à toute attente. Vérité de la vie capable de réserver dans les pires situations une part de vitalité, en contraste avec ce lugubre et grotesque ballet suant de fanatisme dans une émission télé que regarde le narrateur.
C’est pourquoi on peut regretter, tout en étant conscient des grands mérites de ce premier long métrage, une certaine complaisance pour les effets, sous la forme de gags burlesques qui ne font qu’affaiblir ce qui relevait de la pure filmicité (le plan fixe, le cadrage distant, la superposition d'événements visuels et/ou sonores dans un même plan, la répétition, le montage cut, le son direct, etc.). Comme l'épisode des flics se soulageant en rang d’oignons contre un mur, voire toute la séquence comique consécutive où Adan fait tourner en bourrique les brigades de Jérusalem à l’aide du talkie-walkie des pisseurs.
Cela va à l'encontre du registre initial qui repose sur l'implicite et la suggestion. Au lieu de ridiculiser les flics, bien plus efficace en faveur de la paix est, par exemple, la répétition comique de la scène de la terrasse de café. D'une première voiture freinant brusquement s'extirpent deux passagers qui se seraient entretués à coups de leviers de cric si personnel et consommateurs du café n'étaient intervenus. Rebelote plus tard, avec une autre voiture à un moment inattendu du film. Enfin la troisième fois, à la fin, la scène semble devoir se reproduire identique. Les gens du café surgissent afin de prévenir toute violence. Mais les deux passagers ne faisaient qu'échanger leurs places.
En tout état de causes, le cliché du Palestinien terroriste est définitivement aboli, mais la sobriété était de rigueur pour un tel film postulant un spectateur pleinement partenaire et donc réfractaire au clin d’œil. 14/09/09 Retour titres