CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Claude CHABROL
Liste auteurs

Merci pour le chocolat Fr.-Sui. 2000 couleur 75' ; R. C. Chabrol ; Sc. Caroline Eliacheff et C. Chabrol, d'après Et merci pour le chocolat de Charlotte Armstrong ; Ph. Renato Berta ; M. Matthieu Chabrol ; Int. Isabelle Huppert (Mika), Jacques Dutronc (André Polonski), Anna Mouglalis (Jeanne), Brigitte Catillon (Louise Pollet), Rodolphe Pauly (Guillaume

   À Lausanne, Jeanne, orpheline de père âgée de dix-huit ans, apprend par hasard qu'elle fut confondue à sa naissance avec Guillaume, le fils du grand pianiste André Polonski. Troublée étant elle-même pianiste, elle rend visite à ce père possible, un veuf remarié avec Mika, l'héritière d'une grande famille de chocolatiers. André charmé proposant à la jeune fille de la former, Mika invite celle-ci, avec force démonstrations d'affection, à passer quelques jours dans leur résidence sur la Corniche.
   Jeanne cependant découvre que Mika rajoute le soir un somnifère dans le chocolat de son beau-fils, dont on apprend que la mère s'est tuée au volant après avoir absorbé un somnifère dans un cognac servi par la même. Par ailleurs, André ne peut dormir sans somnifère. Entre-temps, les doutes de Jeanne se renforcent, ayant appris de la bouche de sa mère être née d'une insémination artificielle.
   Un soir, où Mika a oublié - intentionnellement - d'acheter le somnifère d'André, Jeanne se charge de descendre à Lausanne en voiture après avoir avalé une tasse de chocolat. Guillaume qui, méfiant, n'a rien absorbé, l'accompagne. Ils sont victimes d'un accident dont ils sortent indemnes. Pendant ce temps, Mika explique à André qu'elle a servi à Jeanne un chocolat mêlé de somnifère, comme pour le cognac de sa défunte épouse. La réaction d'André est étrange. Horrifié, il ne lui vient pourtant pas à l'idée de réagir contre Mika, dont on peut s'expliquer le comportement par un traumatisme d'enfance : de parents inconnus, elle avait été adoptée. 

   Tout l'intérêt repose d'abord sur le thème généralisé du doute sur la naissance, qui toutefois a manqué, en ce qui concerne Jeanne, le cran supplémentaire d'une rencontre possible jadis entre le pianiste et la mère de Jeanne. Le mystère de l'origine est en tout cas suffisamment prégnant pour baigner le film d'un indécidable mythique.
   Par ailleurs, le personnage de Mika (I. Huppert : Galerie des Bobines), sauf dans les rares moments d'abandon où éclate sa fragilité, apparaît derrière un masque impénétrable, telle une figure inquiétante, animée d'une force mortifère compulsive, que renforcent les figures de la mort, qui ne cessent sous diverses formes
de planer. Cette irrésistible tendance destructrice étant suggérée par la figure de répétition : préparer du chocolat, passer et repasser par les mêmes lieux.
   Voici donc un Chabrol plus soigné qu'à l'ordinaire et qui sait aussi avec bonheur tirer parti des éléments du décor extérieur et intérieur. Les extérieurs contribuent au malaise, d'être quelque peu démodés et donc décalés. Les accessoires à l'intérieur conspirent à l'expansion du mal, les miroirs par exemple, en dédoublant l'image de Mika comme un écho maléfique. À la fin, elle se recroqueville sur un canapé recouvert d'un filet de macramé à structure concentrique, comme une araignée morte, thème qui, avec un rien d'insistance superflue, donne lieu par ailleurs à des figures frappantes, comme sa main aux phalanges repliées courant sur la tête de Guillaume.
   On est donc habilement tenu en haleine dans l'attente d'un dénouement terrifiant. Cependant, l'arsenal des moyens mis en œuvre et la science du trouble qui s'y déploie, sont disproportionnés avec l'effet global produit qui, trop attaché à provoquer le frisson, n'offre rien de vraiment substantiel. Le moment de grâce - bien qu'abus de la beauté musicale en elle-même s'exposant un peu trop - concrétisé par le dialogue au piano de Jeanne et d'André sur une composition funèbre de Liszt, reste détaché et n'interfère guère avec les autres épisodes.
   Voilà donc tout réuni pour une géniale prestation, à laquelle ne manque que le génie. 18/01/03 
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