CINÉMATOGRAPHE 

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Charlie CHAPLIN
Liste auteurs

Charlot et le comte (The Count) USA Muet N&B 1916 deux bobines ; R., Sc. C. Chaplin ; Ph. Rolland Totheroh ; Pr. Mutual ; Int. C. Chaplin (l'apprenti tailleur), Eric Campbell (son patron), Leo White (le comte Broko), Edna Purviance (Edna Moneybags), Henry Bergman (un invité), Albert Austin (un invité snob). 

   L'apprenti tailleur Charlot est congédié au pied levé par son patron pour cause d'énormes
bêtises. Il rend visite à une sienne conquête aux allures de matrone, cuisinière chez les Moneybags. Elle lui offre un fromage fétide dans la cuisine. Parallèlement le tailleur trouve dans un habit une invitation adressée au comte Broko pour honorer les vingt ans d'Edna Moneybags, héritière de l'opulente maison. Alors que Charlot ruse pour ne croiser ni un autre prétendant - policier - ni le majordome, le tailleur sur son trente-et-un débarque en usurpateur du comte. Il tombe sur Charlot à qui il recommande la discrétion dans un simulacre de complicité. S'étant glissé parmi les invités, Charlot est placé à table entre Edna et le tailleur, qui se tient fort mal.
   Au bal succédant au festin, Charlot s'accapare Edna, mais il doit la disputer au tailleur et à un snob, tout en se cachant de la cuisinière. En même temps il est
émoustillé par une jeune aguicheuse à l'extravagant costume à la mode inspiré de l'antiquité. Il réussit à entraîner Edna dans le jardin mais, distrait par la présence sourcilleuse du tailleur, se la laisse souffler par le snob. N'importe ! L'inconstant suit l'allumeuse jusqu'au buffet où tenant sa canne comme un club, il démontre ses talents de golfeur en tapant dans les aliments qui atteignent le tailleur, le snob et un troisième dans la salle voisine. Le trio se lance à la poursuite du mauvais plaisant. D'abord refoulé à l'entrée cependant, le vrai comte réapparaît avec un policier. Le tailleur est pincé mais grâce à ses pirouettes acrobatiques Charlot parvient à s'échapper de la maison. 

   Charlot étant ici volage, le véritable sujet est le chassé-croisé, au contraire des récits amoureux qui déterminent une quête et une initiation, subordonnées au franchissement d'obstacles.
   Mais l'intérêt du film ne vient pas tant du thème en soi que de la structure filmique qui s'ensuit, grâce à un travail très poussé et même avant-gardiste du cadrage et du montage. Non seulement un montage parallèle prévalent instaure une logique de l'ubiquité, mais de plus, la maison est découpée en autant de plans que de pièces, animées par des entrées et sorties de champ continuelles, dissociées les unes des autres mais reliées par des raccords de regard, d'axe et de
mouvement.
   Les portes sont
de plus remplacées par des tentures qui, coïncidant avec les bords-cadre latéraux, tiennent lieu de raccords entre les plans. Le hors champ se donne comme double-fond ludique, y compris frontalement, à considérer à travers les ouvertures en profondeur de champ les personnages présents dans une pièce contiguë occultable par un rideau relevé.
  En bref, on ne dispose pas du schème topographique de la maison, mais de données offertes à la déduction. Cependant, les raccords prennent des libertés avec la vraisemblance, par l'ellipse (en passant d'un lieu à l'autre - d'un plan à l'autre -, un personnage emprunte un raccourci temporel) ou même par la substitution : le flic poursuivant Charlot n'est pas le même que celui de la pièce du plan précédent.
   Le fondu-enchaîné, raccord magique par excellence, y trouve sa véritable fonction de court-circuit. Il en résulte un système spatiotemporel ludique, - où le hors-champ est une donnée à part entière -, subordonné à l'action, donc extrêmement dynamique et jouant un rôle d'épargne cognitive à l'instar de l'épargne psychique du mot d'esprit (Freud,
Le Mot d'esprit).
   Davantage, la dissociation cognitive en général, à mettre par ailleurs du jeu dans la causalité, provoque des rencontres burlesques. Les protagonistes de la poursuite finale débouchent dans la salle désertée par les danseurs où l'orchestre continue de
jouer. La bagarre se trouve donc visuellement accompagnée par de la musique douce antithétique.
   Les digressions extravagantes destinées à affirmer le registre burlesque sont sans doute superflues et le récit n'a pas la densité des chefs-d'œuvre, mais le traitement filmique de l'espace-temps ainsi que le rôle féminin non-burlesque libérant le registre, en font, en même temps qu'
œuvre-clé, une véritable "leçon de cinéma". 16/04/05 Retour titres