CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Leos CARAX
Liste auteurs

Boy Meets Girl (Générique) Fr. N&B 1985 100' ; R., Sc. L. Carax ; Ph. Jean-Yves Escoffier ; M. Jacques Pinault, Jo Lemaire, Serge Gainsbourg, Dead Kennedys, David Bowie ; Mont. Nelly Meunier, Francis Sandberg ; Déc. Serge Marzolfe, Jean Bauer ; Pr. Agilène ; Int. Denis Lavant (Alex), Mireille Perrier (Mireille), Marc Desclozeaux (Henri), Anna Baldaccini (Florence), Evelyne Schmitt (l'étudiante), Jean Duflot (Bouriana), P'tit Louis (Sacha), Dominique Raymond (la voisine), Georges Castorp (le voisin), Anne Dieumegard (l'amoureuse), Puig Segur (l'amoureux).

   Trahi par Florence qui lui a préféré Thomas, son meilleur ami, Alex découvre avec Mireille, abandonnée par Bernard, la grâce foudroyante d'un grand amour. Elle meurt par lui, surprise dans l'étreinte par laquelle les ciseaux dissimulés sous sa blouse et souvent maniés par jeu suicidaire la
transpercent.

   La valeur filmique tient surtout à la façon dont le thème est porté à l'incandescence par la constante mise en jeu lyrique des données du récit, avec une fougue n'excluant pas les outrances (surtout verbales : "J'avais neuf ans quand vous avez faits vos premiers pas" dit Alex à l'Américain de la lune. Ou encore : "Quand il avait mon âge, Mozart était mort depuis deux ans"), pardonnables au génie de vingt-trois ans. L'ombre de Vigo, d'Eustache et du jeune Godard, mais aussi de Bresson (allusion citationnelle à la
mansarde de Michel dans Pickpocket), plane sans assombrir l'authenticité d'un langage inouï. 
   Tout en s'ordonnant sourdement à la loi inflexible au nom de laquelle le paroxysme de l'amour ne peut s'exprimer qu'au moyen du néant de la mort, les événements semblent y déployer leurs virtualités propres, n'échappant à la contrainte narrative que pour mieux se soumettre à un ordre plus fondamental, qui relève d'une synthèse du récit et de son objet (et non pas de l'objet pris en charge par le récit). Ainsi, le hasard l'emporte sur la consécution finalisée pour mieux ourdir le réseau secret dédié à la passion amoureuse.
   La rupture initiale est représentée par une autre, celle de deux inconnus, Henri et Maïté, laquelle rencontre Thomas par hasard sur les quais où elle laisse tomber son foulard, cadeau probable de Henri. Cependant, avant de héler Thomas pour régler ses comptes, Alex croise la DS de Maïté et, ramassant le foulard taillé dans la même étoffe que sa veste à carreaux, le prend pour celui de Florence. Le lien est encore souligné par la similitude des deux scènes d'errance de Maïté et Alex où les visages en gros plan de leurs anciennes amours apparaissent respectivement en
surimpression. Par une ironie du sort narratif ainsi mis en question, ce foulard devient le fétiche d'Alex. Il n'est donc guère fétichisé de surcroît par le point de vue du récit qui ne s'approprie point les choses, mais les laisse mener leur vie propre.
   La bande-son affirme leur irréductibilité en dotant les événements d'une vie sonore gratuite relativement au récit filmique. C'est de n'être pas finalisés que les sons prennent une forte valeur dramatique, que ce soit un bateau-mouche, la circulation automobile, une dispute de voisins, le sifflement de la bouilloire… La véritable poésie est dans l'événement brut, celui qui paraît procéder de nulle part, n'aller nulle part et frôler l'extrême limite du possible tout en paraissant nécessaire et naturel comme ce café à demi-fermé occupé par une dizaine d'Asiatiques s'acharnant sur deux flippers et où se retrouvent au bar en rang d'oignons par ordre de taille décroissant, exhibant des faces
grotesques, une géante, Bernard, Alex et un certain Bouriana.
   Seule la coïncidence qui régit le montage est cohérente avec cette logique. On retrouve Bouriana à la soirée mondaine, ou bien le bus qui emporte Alex et Mireille assis à l'arrière est talonné par un autre dans lequel se tient Bernard à l'avant et dont la sonorité pneumatique du freinage est comme un immense
soupir. À ces divers titres, l'événement, par l'audace de sa conception, n'est plus le parent pauvre de la figure. Réciproquement, celle-ci échappe à l'exhibition rhétorique. L'asynchronisme de la parole et des lèvres de Bernard comme figure de la rupture ne semble pas même un artifice. Le verre de la paroi tenant lieu de mur chez Mireille est plus vrai que la pierre d'être cohérent avec la pureté qui la caractérise. La métaphore apparaît alors comme le prolongement naturel de l'étrangeté constitutive du réel.
   D'autant plus qu'elle se mêle progressivement au tissage de la trame événementielle. Les étoiles avant d'être un élément du rêve passionnel d'Alex se trouvent orner un mur percé d'une porte dans la séquence inaugurale. Elles font sentir leur présence implicite dans la dominante du Paris noctambule avant de constituer le sol imaginaire sur lequel Mireille danse les
claquettes.
   Mais la poésie ce n'est pas seulement cet insolite plus vrai que le vraisemblable, entraînant l'abolition de la ligne de démarcation entre propre et figuré. Elle brise également les rapports construisant la vraisemblance naturaliste de rigueur par une composition
plastique qui, à faire jouer ensemble rêve et réalité, ou sublimation et cognition, fait nécessairement éclater les stéréotypes. 24/09/04 
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