Coline SERREAU
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La Belle Verte Fr. couleur 1996 99' ; R., Sc., M. C. Serreau ; Ph. Robert Alazrakis ; Mont. Catherine Renault ; Déc. Guy Claude-François ; Prod. Les Films Alain Sardes ; Int. C. Serreau (Mila), Vincent Lindon (Max), Marion Cotillard (Macha), Claire Keim (Sonia), Paul Crauchet (Osam), James Thierrée (Mesaje), Samuel Tasinaje (Mesaul).
Immergés en pleine nature, les habitants de la Planète verte, espérance de vie 250 ans, forment une société égalitaire ayant développé les capacités humaines sur la base de la télépathie, ce qui les dispense depuis belle lurette de la technologie. On apprendra même que la société de consommation fut abolie pour sa nocivité foncière après condamnation pour crimes contre l’humanité des responsables.
À la réunion annuelle de la planète sont requis des volontaires pour satisfaire à l’ordinaire visite des planètes alentour, mais personne pour la Terre, dont on ignore le devenir depuis des siècles, le dernier contact, daté de l’époque napoléonienne, n’ayant laissé de souvenir que d'arriération civilisationnelle. Cela n'ayant pu qu’empirer, il faudrait procéder à l’aide des moyens télépathiques à la déconnexion des consciences pour repartir sur des bases saines.
La quadragénaire Mila s’étant cependant découvert une mère terrienne qu’on lui avait cachée, désire se charger de la mission. Armée du programme de déconnexion cérébrale, en costume d'Empire et chaussée de souliers, elle se téléporte à Paris sur la terre, à l'époque actuelle. On y découvre en effet une humanité en mauvais état dans un monde malade de consumérisme effréné.
La voyageuse donne des nouvelles à sa famille par télépathie, ce qui provoque des perturbations burlesques sur tous les systèmes relevant de la technologie. Elle doit bientôt entrer en contact physique avec un nouveau-né pour ranimer ses forces, en raison de la toxicité de la nourriture industrielle. Infiltrée dans une maternité, elle prend un nourrisson dans ses bras, mais est surprise par l’infirmière Macha. Laquelle l'informe qu’il s’agit d’un bébé abandonné issu d'un viol, et auquel elle s’est elle-même attachée. Survient Max, chef de clinique odieux, qui menace Mila de la police mais se mue radicalement en son contraire sitôt que l'extraterrestre le déconnecte. Il accepte de l’héberger chez lui. Elle n’a du reste besoin que d'un balcon.
La vie du foyer est bouleversée. Max se débarrasse de la télé et du walkman de son fils, et le regard de Florence, sa femme, sur ce monde se transforme déjà : Max "déconnecté" ayant reconnu qu'il était jusque-là "à côté de la plaque", lui demande pourquoi elle reste avec lui. "Ton compte en banque. Prostitution légale" lui est-il laconiquement répondu. De retour à la maternité Mila s’entend dire par Macha en larmes que la DDASS va récupérer le bébé. Sur son conseil, Macha emporte celui-ci chez elle, où la DDASS manque les surprendre. Avec sa sœur Sonia, qui partage son appartement, elles trouveront refuge avec le bébé chez Max. Entretemps, les deux grands fils de Mila, Mesaje et Tasinage sont tombés amoureux de Macha et Sonia, entraperçues sur les images d'un échange télépathique avec leur mère. Voulant joindre la Terre ils débarquent malgré eux en Australie, où les accueillent des Aborigènes, dont la culture ancestrale s’avère fraternellement compatible avec la leur. Sans argent Ils parviennent par air, moyennant la déconnexion du personnel des aéroports, à gagner Paris où ils vont grossir la petite communauté chez Max. Les déconnexions opérées par Mila engendrent maints désordres désopilants, qui ridiculisent les valeurs frelatées de cette société. Mila et ses deux fils flanqués de Macha et Sonia chargées du bébé, retournent à leur Planète Verte.
Procès implicite du règne de la loi des plus forts, dont l'avidité illimitée surpasse les moyens-mêmes de la planète en ressources. Presque un demi-siècle après on peut voir que ce monde-là est plus que jamais triomphant. L'attaque était aussi précoce que clairvoyante, et la cause qui l'inspire parfaitement juste.
Sa force réside dans une forme acerbe et drolatique, de procéder de l'étonnement d'une extraterrestre à Paris à l'instar du Persan de Montesquieu. De sorte que les Parisiens sont fondés à taxer de folie les questions de cette passante, aussi étranges que de savoir où il y a de l'eau dans la ville, ou pourquoi payer pour avoir des choses. Jugement se retournant implicitement contre la société déréglée de ceux, aveugles à son absurdité, qui le prononcent. Sous le couvert des gags déclenchés par les "déconnexions" nous sont donnés à voir des scènes de divagation à la mesure des détraquements résultant de la priorité donnée à l'argent sur les aspirations humaines.
L'humour et la légèreté de ton, se traduisant visuellement par des numéros d'acrobatie, sont en l'occurrence le passeport d'une radicalité de l'incrimination, qui pourrait rebuter le public du film, comme le salut fasciste du public surexcité du stade, aussi bien que les désarticulations corporelles du rock. Toutes choses sous-entendant une dégénérescence de la culture en tant qu'effet du capitalisme.
Ceci établi, il convient d'examiner si la radicalité du propos se donne 1) la voie, 2) avec des moyens propres, d'un questionnement à sa mesure.
1) On se demande d'abord d'où part la critique. Au nom de quoi une telle dénonciation du système en place ? Or force est de constater qu'il s'agit de la nostalgie d'un paradis perdu. Le mauvais présent s'oppose à un bon passé à prôner un retour à la nature, ou aux formes sociales archaïques. La critique s'articule sur une opposition métaphysique, qui ne laisse aucune chance à un troisième terme appelé futur. Il eût fallu qu'un angle critique s'applique au passé autant qu'au présent pour rendre possible une pensée du futur. La solution implicite est parfaitement illusoire. Elle relève du rêve d'une vie idéale et non du frayage des possibles qu'on est en droit d'attendre d'une véritable remise en question. Mâtiné de réminiscences New Age, le thème postsoixante-huitard du retour à la terre paraît, du reste, aujourd'hui singulièrement dépassé.
2) Il ne s'agit pas d'une diatribe, mais de la médiation du scénario d'une diatribe. On est convié à admirer des scènes de genre quant à la vie idéale, ou à se réjouir de la scénarisation d'un beau réquisitoire, ceci sans nul recours aux redoutables défilés sensibles du langage cinématographique : cadrage, lumière, montage, interaction du son et de l'image ou encore, détournements de sens des choses du décor. C'est, mine de rien, l'intellect seul qui est requis sous le couvert d'un très plaisant récit, il faut le reconnaître, mais mis au service d'une conscience à la fois évoluée et bourrée d'illusions, fussent-elles généreuses. 11/07/25 Retour titres Sommaire