CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Ina WEISSE
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l'Audition (Das Vorspiel) All., Fr. 2019 89' ; R. I. Weisse ; Sc. I. Weisse et Daphné Charizani ; Ph. Judith Kaufmannn ; Mont. Hans Jorg Weiβbrich ; Son Guillaume Sciama ; Déc. Suzanna Hopf ; Pr. Lupa Film, Arte, Ideale audience, Port-au-Prince Film et ZDF ; Int. Nina Hoss (Anna Bronsky), Simon Abkarian (Philippe Bronsky), Serafin Gilles Mishiev (Jonas Bronsky), Ilja Monti (Alexander Paraskevas) Jens Albinus (Christian Wels), Thomas Thieme (Walter), Winnie Böwe (la mère d'Alexander).

   Professeure de violon au conservatoire, épouse du luthier Philippe Bronsky, mère de Jonas, 12 ans, en formation de violoniste au même conservatoire, et maîtresse de son collègue Christian Wels, Anna Bronsky se montre instable et tourmentée. À une audition de recrutement, contre l'avis de collègues influents, elle prend la défense du jeune Alexander Paraskevas, qui est pris à l'essai six mois sous sa responsabilité. Elle se consacre à lui entièrement au point de délaisser sa famille et surtout Jonas, qu'elle dégoute du violon, interférant en outre de façon intempestive avec sa formation assurée par une collègue. Le fils se défoule au hockey sur glace quand ce n'est pas de rage sur le décor, et devient agressif avec sa mère. La fenêtre de la salle de musique donnant sur le couloir et où la tête de Jonas s'encadre parfois durant le cours d'Alexander est la matérialisation d'une jalousie. C'est au moment où sa mère pose sa main sur l'épaule d'Alexander qu'il la surprend. Suit le défoulement au hockey.
   Excédé cependant par la brutalité des exigences de sa professeure, Alexander quitte le cours. Ce qui n'empêche un triomphe au concours d'entrée. Comme Anna l'attend pour l'en féliciter il se précipite à sa vue dans l'escalier de sortie, où Jonas lui fait un croche-pied sous les yeux de sa mère. Alexander se brise la nuque. Il n'est pas certain qu'il recouvre toutes ses facultés motrices. Restera désormais le lourd secret qu'ont à se partager mère et fils.


      Film paradoxal, mélange d'ostension et d'opacité. Soit, un filmage soumis aux actions (cadre serré majoritairement avec au besoin caméra-épaule sensible, passage de porte en deux plans avec axe inverse au deuxième temps, travellings de couloirs, pas un virage sans son panoramique...) et même comportementaliste, fût-ce de manière fine, notamment quand la reprise du champ-contrechamp est imperceptiblement modifiée par serrage du contrechamp associé à l'accentuation du souffle de l'acteur, signe de trouble intérieur. Et cela pratiquement sans surenchère, ni présence appuyée de la caméra pour elle-même, ni intervention musicale extradiégétique. Reste qu'en bon naturalisme filmique, le plateau prime le cadre et le montage, au point qu'on ne sait plus bien si les concerts s'adressent au public de la fable ou à celui du film, confusion favorisée par l'ambiguïté d'une musique d'écran tenant lieu de musique auxiliaire.
   Ce qui ne laisserait à l'écriture comme effet de la primauté de la pellicule sur le scénario que peu de chance, s'il n'y avait opacité. Laquelle en a indisposé plus d'un, car on veut tout résoudre au fur et à mesure, à l'encontre de la différance. À quoi tient-elle cette opacité ?
   Premièrement à la mise en place de troubles hors causalité, ce qui relève déjà quelque peu de l'écriture, surtout quand les inflexions de montage font autant de place à la circulation impalpable des pensées. Le meilleur du film est dans ses moments intempestifs, telle, diable jaillissant de sa boîte, la cruauté du grand-père enfonçant soudain la main de son petit-fils dans la fourmilière ; ou la scène du poulet : Anna, ayant maternellement accompagné Alexander au bus après l'avoir accueilli chez elle, au lieu d'y retourner, rebrousse chemin pour aller sonner chez Christian. Il lui demande de l'aider à préparer un poulet rôti. Gros plan sur les quatre mains affairées sur l'abdomen béant de l'animal, qu'elle recoud ensuite.
   Deuxièmement, au personnage d'Anna, impliquant le jeu énigmatique à souhait de Nina Hoss, les deux aspects étant en interaction informelle, au risque de la synthèse anthropomorphique, voire de la fixation fétichiste à l'actrice.
   C'est pourtant au spectateur quand-même à construire les attendus du dysfonctionnement socio-familial. Ainsi la cruauté du grand-père se lit dans le sadisme sexuel d'Anna arrachant sous la colère la ceinture d'Alexander pour lui fixer au corps un coussinet forçant à s'abaisser une épaule obstinément tendue sous le violon. Son échec de concertiste et son repli sur l'enseignement s'apparentent au comportement névrotique de fuite consistant à se ménager toujours une porte de sortie. Au restaurant toute autre place est toujours plus désirable que la sienne, de même qu'elle finit par échanger son assiette contre celle de Philippe. Invitée à accepter le rôle de concertiste dans la formation de Christian, au dernier moment une tache sur sa jupe l'amène à la retourner côté doublure (comme on retourne sa veste) avant de monter sur scène.
   Autres symptômes, au volant de la voiture elle confond l'entrée et la sortie d'un parking. Elle a un fils mais développe un fort sentiment maternel envers l'élève. Un mari aimé mais un amant. La "césarienne" du poulet suggérerait même un désir d'enfant de lui. Ne réclame-elle pas, dans l'attente angoissée de la montée sur scène d'Alexander, les mains de Christian sur ses organes nourrissiers ? Un enfant qui serait donc Alexander dont la chute lui inspire un geste symbolique de réparation à se passer, comme Rosetta (hommage aux Dardenne) en mal de mère, un sèche-cheveux sur la cicatrice ombilicale. Après la suture du poulet, Anna confie au même Christian attendre toujours un cadeau de sa défunte mère, qui oubliait régulièrement ceux promis.
   Mais si l'on va au bout du raisonnement en prenant en compte toutes les données latentes, c'est elle qui sous les traits d'Alexander, dont elle a voulu faire comme idéal du moi le grand concertiste qu'elle n'est pas, voudrait être l'enfant de Christian, comme elle l'est de Philippe. Un vrai père incestueux, lui qui, sauf en ce qui touche à Jonas et à l'engouement pour Alexander, lui passe ses écarts, voire, étant donné ses silences et ses regards appuyés, n'ignore pas l'adultère : "Tu ne sais absolument rien de ce que je pense" annonce-t-il à sa femme dans la séquence qui succède à celle du poulet. N'est-elle pas une séquestrée consentante dans ce rôle d'épouse infantile, vu l'accès du domicile et de l'atelier de lutherie attenant protégé par des portes métalliques à barreaux ?
   Autant d'avatars du clivage défensif qui vont tragiquement se cristalliser dans la structure du secret final. Qu'on le veuille ou non finalement, on se trouve en pleine psychologie c'est-à-dire dans l'illusion anthropomorphique, qui forme les limites de la textualité du film. Comme le confirme la dernière scène : Gros-plan du visage d'Anna à moitié caché par un chambranle (clivage), observant à contrechamp un orchestre d'enfants. Écran noir. 31/12/23
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