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Yasujiro OZU
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Une auberge à Tokyo (Tokyo no yado) Jap. Muet (sonorisation musicale) N&B 1935 76' ; R. Y. Ozu ; Sc. Masao Arata et Tadao Ikeda ; Ph. et Mont. Hideo Shigehara ; M. Senji Ito ; Pr. Kamata-Shochiku ; Int. Takeshi Sakamoto (Kihachi), Choko Iida (Otsune), Yoshiko Okada (Otaka), Tomio Aoki (Zenko), Kazuko Kojima (Kiniko), Chishū Ryū (le policier).

     Flanqué de ses deux jeunes fils durant la crise économique mondiale, Kihachi hante en vain la banlieue industrielle de Tokyo en quête de travail. Seule ressource, la capture des chiens errants contre une prime dans le cadre de la campagne antirabique. Mais il faut choisir entre manger et dormir à l'auberge. D'autant que Zenko, l'aîné, a préféré consacrer la prime à l'acquisition d'une casquette neuve. Affamés, ils se contentent de mimer un festin. Otaka, une jeune mère abandonnée avec sa fille Kiniko, croise leur chemin. Les trois enfants sympathisent après s'être tiré la langue : c'est l'occasion d'un rapprochement des parents, qui se rencontrent régulièrement sur les friches industrielles pendant que les trois enfants jouent ensemble. La situation semble empirer, d'autant que les garçons ont perdu le baluchon commun à force de s'en renvoyer mutuellement la charge. Par chance, Kihachi tombe un soir de pluie sur Otsune,
une ancienne amie à la tête d'une auberge. Elle accepte de les héberger, trouve un travail à Kihachi et accueille même Otaka à sa demande. Cependant celle-ci disparaît et les rencontres cessent subitement. Ignorant que c'est en raison d'une grave maladie de Kiniko, Kihachi se console dans une maison de plaisirs, abandonnant par dépit à une Geisha le cadeau destiné à Otaka. C'est précisément la maison où celle-ci a choisi de sacrifier son honneur pour financer les frais d'hospitalisation. La jeune mère paraît devant Kihachi, profondément meurtri au récit des raisons de cette déchéance, qu'il avait d'abord blâmée. Il requiert un prêt d'Otsune, puis commet un vol, dont le fruit est remis à Otaka par Zenko, le fils aîné. Otsune reproche au père de lui avoir caché les raisons de sa demande de secours. En prévision de l'emprisonnement, elle accepte de s'occuper des garçons. Mais il prend le large dans la nuit. Un carton conclut : "Grâce à son action, une âme a été sauvée".

   M
élodrame plutôt banal, maladroitement rattrapé par un ultime carton moral, dont l'acteur principal, Takeshi Sakamoto, comme Choko Iida, occupe un emploi habituel, un peu trop prévisible, mais tout cela prend consistance par le décor, les accessoires et le contrepoint burlesque du monde des enfants. Mieux vaut en l'occurrence l'apprécier sans la sonorisation musicale qui est particulièrement envahissante. L'art du cinéaste est dans la riche vision,
s'exprimant à travers tout un réseau d'accessoires, d'un contenu pauvre en événements. Le montage est dominé par le champ-contrechamp des protagonistes, dont le jeu se limite à quelques mimiques simples : acquiescement, refus, joie, tristesse, larmes, démangeaisons imaginaires... Le décor se distribue sur deux espaces : l'auberge dans une rue étroite de la ville intra-muros et la zone industrielle comportant de vastes terrains vagues où se dressent des gazomètres et de grands tourets dressés à l'abandon, avec des cheminées d'usines à l'horizon. Les routes désertiques sont bordées de poteaux reliés par les fils télégraphiques. C'est là dans ce décor désolé, au pied des gazomètres que l'action est indéfiniment ramenée. Il n'y a que du gaz, de la fumée et les tourets vacants parmi les herbes folles, vides comme les estomacs. Rien de plus désolant que trois objets quelconques de tailles échelonnées en rapport avec celles du trio, un gazomètre et deux tourets abandonnés trempant dans les flaques de la veille. À l'opposé, des plans de détail tel le plafonnier allumé précédant un repas ou le repos, présentent l'auberge comme un refuge chaleureux. De même que les vêtements à l'étendage au matin témoignent de la nuit passée en sécurité grâce à l'accueil chez Otsune des rescapés de la pluie.

   La sobriété minimaliste est animée par maints détails saillants. La casquette, identique à celle, convoitée, d'un autre enfant  à l'auberge et achetée avec la prime, fait partie, comme les repas mimés, des rêves du pauvre. Les sentiments de Kihachi envers Otaka se concrétisent par un simple filin traversant obliquement l'avant-plan devant la jeune femme, et tenu dans le plan suivant par Kihachi durant leur dialogue, les yeux dirigés dans la même direction. Otsune lâche son éventail avant de fondre en larmes à la demande de Kihachi (qui le ramasse) de s'occuper de ses fils. Près du lit d'hôpital d'Akika, une mouche se noie dans une cuvette. Des inserts de feu d'artifice alternent comme des idées fortes alors que le protagoniste erre dans la ville en méditant son vol.

   Pas vraiment un grand Ozu, mais le style est là ! 25/08/20 Retour titres