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A travers les rapides (Johan) Suèd. Muet teinté 1921 84' ; R. M. Stiller ; Sc. M. Stiller et Arthur Norden, d'après Juha (1911), roman de Juhani Aho ; Ph. Henrik Jaenzon ; Pr. Svenska Film ; Int. Jenny Hasselqvist (Marit), Johan (Mathias Taube), sa mère (Hildegarde Harring), l'étranger (Urho Somersalmi).
Recueillie à côté de sa mère morte de froid dix-huit ans auparavant par Johan, Marit est servante dans la ferme bordant le fleuve, sous la férule de la mère de son sauveur. Parmi les journaliers mâles débarquant sur la rive pour assécher le marais, un bel étalon fascine la jeune fille. Ce qui n'empêche qu'il prend une gifle pour un baiser volé. L'étranger part sur sa barque, promettant de revenir. Entre-temps le maître, qui est soigné par Marit à la suite d'un accident, tire à profit cette intimité pour lui demander sa main. La mère chasse la domestique, mais le blessé cloué au lit brise une vitre pour rappeler la carriole qui l'emporte. C'est alors la mère qui doit s'effacer.
Après le mariage Marit se détache de son mari, laissant la servante lui porter le déjeuner. C'est qu'elle rêve toujours de son inconnu. Le voici revenu après deux ans. On lui offre l'hospitalité. Il réitère ses assiduités. Marit résiste tout en se laissant peloter. Mais venue passer l'été chez son fils la mère est toujours aussi dure à l'égard de sa bru. Révoltée, celle-ci choisit de suivre l'homme. Il la porte dans sa barque qui file au gré des rapides. Les amants s'installent sur une île dans la cabane de l'aventurier. Il étouffe un feu allumé imprudemment par Marit. Acte symbolique inaugurant l'extinction de la passion. Le malaise s'installe. Entre-temps, Jehan d'abord anéanti de désespoir, finit par réagir, trouve l'île et porte un coup violent à son rival avec une bûche, autre symbole puisqu'elle n'existe que de n'être pas consumée. Pour sauver sa vie, le séducteur jure que Marit l'a suivi de son plein gré. Elle reconnaît son erreur et supplie son époux de la garder. Pardonnée elle est ramenée en barque au bercail.
La division en cinq actes, code du temps, assure cependant la concision et la netteté du récit : acte I, rencontre et départ ; acte II, mariage ; acte III, retour de l'Étranger ; acte IV, fuite sur les rapides ; acte V, joies, désenchantement et fin de l'adultère. Ils sont séparés par des cartons évoquant sur un ton épique le vent mauvais qui meut le batelier. L'intérêt artistique tient en effet à la démesure des forces en présence, inspirant à la direction d'acteurs et au filmage de l'action dans la nature une étonnante liberté.
Les tendances antagonistes sont celles de la passion érotique et de l'amour construit. Elles sont représentées par le parcours labyrinthique des amants sur le fleuve furieux opposé à l'eau étale du trajet à la fois rectiligne et elliptique de Johan.
Dans les deux cas le cadrage assure par un perpétuel décentrement une composition tendue correspondant à la dynamique de l'intrigue. Le thème de la passion érotique se communique au jeu des amants, transfigurés respectivement en un prédateur goguenard et une nymphe apte à toiser d'un œil expert les potentialités de l'homme. La puissance de la tentation se mesure à la façon donc le mâle apparaît à la femme désirante à travers une fenêtre tel un portrait. Si le dénouement est moral, le film ne l'est donc pas. Les deux mondes restent l'un à l'autre irréductibles. Coexistent parallèlement le fleuve tumultueux des passions de la chair sur une île paradisiaque et la voie d'eau miroitante baignant la paisible ferme.
Deux fleuves en un seul donc mais aussi quatre personnages pour trois, Adam et Ève chassés du paradis terrestre puis "conjugalisés" : deux hommes, mais deux Ève en une seule femme. Tout l'érotisme latent du film tient dans ce chiffrage pervers. 11/12/03 Retour titres