CINÉMATOGRAPHE
et écriture


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Fred NIBLO
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Arènes sanglantes (Blood and Sand) USA N&B 1922 59' ; R. F. Niblo ; Sc. June Mathis, d'après Blasco Ibanez ; Ph. Alvin Wyckoff ; Pr. Famous Players/Lasky ; Int. Rudolph Valentino (Juan Gallardo), Lila Lee (Carmen), Nita Naldi (Dona Sol), George Fild (El Nacional). 

   Fils d'une veuve dans le besoin, Juan Gallardo fait les corridas avec des copains pour ramasser quelques sous. L'un d'eux est tué par un taureau. Admiré par le bandit Plumitas qui se trouvait là, Juan met toute sa rage à la mise à mort de l'animal. Sur sa réputation naissante, il est engagé par des mécènes. Bien que sa famille ne croie guère à sa réussite il rentre victorieux. Son succès auprès des femmes ne le grise point. Il épouse celle dont il est amoureux, l'amie d'enfance Carmen. Mais Dona Sol, grande dame trônant à la tribune d'honneur de l'arène, n'a de cesse de déployer tous ses
charmes jusqu'à l'avoir dans son lit. Cependant il tient à son épouse et tente de quitter sa maîtresse, qui se trouve toujours sur son chemin.
   Plumitas les rencontre et compare sa propre existence de mort en sursis à celle du matador. Le destin est en marche. Carmen a beau prier dans la chapelle des arènes dans un plan dramatisé par l'éclairage et la
distance, Juan est mortellement encorné après avoir vu les gendarmes abattre Plumitas dans les gradins. Il est porté dans la chapelle où, retirant la bague ornée d'un serpent que lui avait offerte Dona Sol, il demande pardon à Carmen avant de mourir dans ses bras. Toujours présent aux moments cruciaux, un écrivain qui consignait cette histoire dans un grand livre conclut : "Pauvre Matador… Pauvre bête… Mais la vraie bête, celle à dix mille têtes (les spectateurs) est parmi nous." 

   Tourné presque uniquement en plans fixes, le film tire au premier abord son intérêt d'un montage vif, d'un cadrage assez libre, qui ne centre à l'excès en faisant le vide entre le sujet et les bords du cadre que pour l'emphase dramatique, et laisse déborder l'action à l'extérieur du cadre (la mise à mort
hors-cadre), d'une esthétique de la photo et de l'expression des émotions. À ce titre, Valentino est une présence véritable, éclipsant toutes les autres. Jusqu'ici rien d'exceptionnel.
   Ce que le montage met en évidence est plus intéressant : le mode d'interaction entre les thèmes. Se croisent en un jeu pervers, l'écrivain et le récit, Juan et Plumitas, les deux femmes, les hommes et les bêtes, cette dernière catégorie l'emportant en fin de compte dans une vision tragico-grotesque. Dona Sol prend le même plaisir à la mort de Plumitas puis de Juan qu'à celle du taureau, comparaison appuyée par le plan des corps prostrés dans la
poussière. Cette sexualité de mante religieuse permet de confondre l'homme et la bête dans la défaite ordinairement associée à des rituels de castration. Le visage alors réjoui et presque extatique de la femme fatale, en accord avec le somptueux décor mauresque de son palais où rode un mignon affublé en sportif antique, et le cadeau à son amant d'une bague ophitique attribuée à Cléopâtre, tente de développer une démesure antique de la cruauté, sans vraiment y atteindre : il faudrait pour cela une conception d'ensemble esthétiquement plus hardie.
   Les éléments de décor (tête de mort, chandelle, mappemonde, etc.) du cabinet de l'écrivain composent une Vanité annonçant une destinée tragique. Cet homme faustien d'allure intervient au mariage où il semble présenter les deux époux l'un à l'autre comme en vertu d'un pacte. Au milieu de l'intrigue, il donne à lire chez lui à Plumitas, la phrase fatale : "le bonheur fondé sur la cruauté ne peut survivre longtemps". Ainsi, la présence de Plumitas au premier et au dernier combat retentit-elle comme figure du destin.
   C'est donc un film qui témoigne d'une recherche originale, sans avoir l'étoffe des chefs-d'œuvre du temps. 4/04/04
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