CINÉMATOGRAPHE  

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Justine TRIET
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Anatomie d'une chute Fr. 2023 150' ; R. Justine Triet ; Sc. Arthur Harari et J. Triet ; Ph. Simon Beaufils ; Mont. Laurent Sénéchal ; Son Julien Sicart, Olivier Goinard, Jeanne Delplancque, Fanny Martin ; Pr. Les Films Pelleas, Les Films de Pierre  Int. Sandra Hüller (Sandra Voyler), Milo Machado Graner (Daniel), Samuel Theis (Samuel Maleski), Camille Rutherford (Zoé, l’étudiante), Swann Arlaud (Vincent, l’avocat et ex. de Sandra).


     Incommodé par le vacarme musical de la chaîne du père poussée à fond sous les combles, au point que sa mère l'écrivaine doit écourter une entrevue avec une étudiante, le jeune Daniel sort dans la montagne accompagné de son chien. À son retour, il butte sur le cadavre paternel gisant au pied du chalet.


      Un gamin de onze ans, malvoyant par accident, est à la fois la pièce maîtresse de l’intrigue et le résonateur émotionnel du drame autour duquel se bâtit le film. Non seulement il découvre son père sans vie après une chute aux causes laborieusement conjecturées à l'enquête, mais il aura, en tant que témoin, un rôle déterminant dans l’acquittement de sa mère prévenue du meurtre.
   C’est l’atout majeur de ce thriller psychologique affligé d’une lourde armature verbale, que de se donner un foyer non-verbal en la personne d’un garçon dont la quasi-cécité suppose des substituts sensibles hypertrophiés. Le dialogue tend du reste à se muer en dialogue musical post-mortem entre la violence de la diffusion tonitruante de 50 Cent due au père et la quête pianistique de registre classique du fils. D'autant mieux que la musique extradiégétique s'en trouve reléguée à la toute-fin. Avec son chien-guide, ils forment un duo échappant à l’ordre socio-sémantique du banal thriller. Surtout que le petit d'homme fait montre d’autant de présence non jouée que l’animal. Si bien que le Happy-end est quelque peu mis en question par un doute. Il reste quelque chose d’impénétrable dans la stratégie de l’enfant auquel fut donné, abusivement, la responsabilité de contribuer en audience de justice au déballage d'inavouables secrets parentaux dans un contexte traumatisant. À un enfant revient la responsabilité écrasante d'avoir à trancher entre la thèse de l'homicide et celle du suicide. Prouesse de l'ordre de l'épreuve initiatique. Et la force opaque qui semble l’animer n’est pas la moindre des contre-mesures.
   L'épisode final (chute de l'anatomie) du chien venant rejoindre la mère lovée sur le divan pointe l'enjeu véritable. Elle le prend dans ses bras avant de s'endormir, comme Daniel l'a fait avec elle dans un demi-sommeil, lui caressant la tête comme à un enfant. Entre veille et sommeil, le rêve d'un monde mythique empiète sur la réalité. Le doute se dépasse en faveur de quelque chose de beaucoup plus important. Un enjeu qui relève à coup sûr davantage du conte que du polar. Il faut que ça résiste à la logique linéaire. Ce sans quoi le film peut pâtir de sa propre maîtrise de l’engrenage dramatique conduisant imperturbablement du cadavre au dénouement quel qu'il soit. Surtout si le filmage reste, comme ici, parfaitement fonctionnel. N'y a pas vraiment, semble-t-il, été prise la mesure du fabuleux potentiel poétique, qui a pourtant pu jouer dans l'attribution de la Palme d'or. 03/10/23
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