CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

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André TÉCHINÉ
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Alice et Martin Fr. 1998 130' ; R. A. Téchiné ; Sc. A. Téchiné et Gilles Taurand, avec la collaboration d'Olivier Assayas ; Ph. Caroline Champetier ; M. Philippe Sarde ; Pr. Alain Sarde ; Int. Juliette Binoche (Alice), Alexis Loret (Martin), Mathieu Amalric (Benjamin), Marthe Villalonga (Lucie).

   Martin, qui a tué son père, sombre dans un coma dépressif quand Alice lui annonce qu'elle est enceinte de lui. Il décide de se livrer à la justice pour pouvoir vivre son amour, parcours initiatique dostoievskien mais psychologiquement et socialement circonstancié : le petit Martin dut à dix ans s'arracher à sa mère pour aller vivre chez son père, un industriel régnant par la crainte et censé le préparer mieux à son avenir. Il y passe dix années apparemment vides puis, s'étant décidé à vivre sa vie, pousse violemment dans l'escalier son géniteur qui lui barrait la sortie. Il trouve en Alice la femme indépendante et énergique convenant à son immaturité affective. Elle se bagarre contre Lucie, la veuve de la victime, et ses fils pour que l'affaire, étouffée par bienséance, soit portée en justice. Le point final est une lettre d'espoir du détenu Martin à sa bien aimée Alice.

   Entreprise ambitieuse donc, comme l'indique l'encombrant romantisme symphonique d'envergure en accompagnement et la durée assez imposante du film, laquelle ne paraît point justifiée. Les plans longs étant en effet trop souvent dédiés à des contenus et non à la méditation. Où est l'intérêt de la scène de beuverie dansante de l'hôtel ? Fallait-il vraiment montrer le scooter en marche puis sa mise sur béquille pour illustrer la lettre
off d'Alice disant : "j'ai loué un scooter" ? La construction en flash-back pour expliquer le meurtre n'est de même que surcharge explicative.
   Encore un effet de la prépondérance du contenu narratif, comme s'il existait par lui-même indépendamment du film et qu'il s'agisse de décrire ce qui serait supposé préexister au film au lieu de s'attacher à le rendre sensible ou émouvant. Raconter une blague ou poser une devinette est le fait d'un certain cinéma se voulant spontané. Celle sur la neige sonne comme un mot d'auteur et s'isole en valeur extrinsèque. La scène où Alice joue du violon dans un bal alors que Martin vient d'être interné à l'asile est totalement dépourvue d'émotion.
   Les acteurs sont d'ailleurs envisagés comme vérité humaine en soi, qu'il suffit d'enregistrer dans leur "naturel". En ce cas, la moindre faille ne pardonne pas. La plus petite dissonance peut tout fausser. Juliette Binoche a beau être une actrice admirable (Galerie des Bobines), c'est ce qui lui advient ici. En revanche, Amalric (Galerie des Bobines) rejouant son propre rôle, qui lui a si bien servi dans d'autres films, ne peut, lui, se tromper. Seul Loret est assez sobre.
   De plus, de nombreuses réminiscences littéraires et filmiques tiennent lieu de créativité. Nabokov : fenêtre ouverte sur un hiver neigeux entraînant la bronchite létale ; Dostoievski : chute dans l'escalier (
Karamazov) ; Carax : l'affiche de Martin se répétant dans le métro comme celle de Binoche, précisément (mimétisme inconscient ?), dans Les Amants du Pont Neuf ; Le Grand Bleu : Alice attend anxieusement sur le rivage son aquatique amant ; enfin Pickpocket de Bresson n'est pas loin non plus avec ce traitement très elliptique de la fin carcérale, commentée par la lettre lue.
   Certes la démarche consistant à rendre chaque moment imprévisible témoigne d'une exigence artistique, mais ici vraiment dépourvue de souffle et de risque. Simple mise en suspens de la cause, elle fonctionne comme une banale énigme narrative, et non comme le surgissement d'une irréversible singularité.
   Le cinéma français est bien l'un des plus conformistes au monde quand, conscient d'être un auteur, le réalisateur met en avant sa personne en signalisant ses idées et son savoir-faire. On conviendra que Téchiné se montre ici un cinéaste élégant. Mais élégance n'est point art. 28/07/01 Retour titres