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Les Affameurs (Bend of the River) USA VO Technicolor 1952 91’ ; R. Anthony Mann ; Sc. Borden Chase d’après Bend of the Snake de Bill Gulick ; Ph. Irving Glassberg (Technicolor) ; M. Hans J. Salter ; Pr. Universal (Aaron Rosenberg) ; Int. James Stewart (Glyn McLyntock), Arthur Kennedy (Emerson Cole), Julia Adams (Laura Baile), Rock Hudson (Troy Wilson), Lori Nelson (Margie Bayle), Jay C. Flippen (Jeremy Baile), Chubby Johnson (capitaine Mello).
Glyn McLyntock (James Stewart : Galerie des Bobines) est chargé de conduire en Oregon un convoi de colons dont le chef, Jeremy Baile, a deux filles, Laura et Margie. En chemin Glyn met fin au lynchage par pendaison de Cole Emerson, qui reconnaît en son bienfaiteur un ancien hors-la-loi, comme lui. Une amitié se dessine. Cependant, Jeremy n’a aucune confiance en Cole, les chenapans ne pouvant selon lui en aucun cas s’amender. Lors d’une attaque indienne, Cole sauve la vie de Glyn, mais Laura est blessée d'une flèche. La commande des provisions étant faite à Portland chez un certain Hendricks, le convoi embarque sur un vapeur, laissant la blessée sur place entre de bonnes mains, ainsi que Cole qui décide de rester. Parvenu dans la vallée de destination on bâtit la colonie. Les provisions cependant n’ont pas été livrées comme prévu.
Glyn et Jeremy retournent donc à Portland. En ville, Glyn retrouve Laura, qui, avec Cole, auquel elle est plus ou moins fiancée, travaille au bar de Hendricks. Elle clame du reste son intention de rester dans cette ville, ce qu'elle va annoncer à son père au débarcadère. Cependant, les prix ayant grimpé à la suite de la découverte de gisements aurifères, Hendricks garde la marchandise moyennant un remboursement au cours inférieur. Ayant chargé de force celle-ci sur le vapeur à l’aide de dockers engagés sur place, Jeremy et les siens sont attaqués par les hommes de Hendricks. Dans l’urgence, le bateau lève l’ancre ayant à son bord en plus : les dockers, Laura et Cole ainsi que Troy, le joueur de cartes du bar, qui s’est joint à eux par rescousse.
Durant la dernière partie du voyage en chariot les dockers complotent pour revendre le chargement à leur profit. Avec l’assentiment d’un Cole intéressé au gain, ils rossent Glyn, le laissant sur place en piteux état et sans arme. Il les suit néanmoins et parvenant à s'emparer d'une arme les abat l’un après l’autre, y compris Cole, noyé lors de la lutte dans le fleuve. Jeremy, qui a compris le passé de Glyn, admet que les hommes puissent changer. Glyn rejoint Laura, de même Troy pour Margie, sa sœur.
L’intérêt réside dans l’habileté du drame initiatique, auquel la richesse de la rude nature avec le concours des couleurs donne quelque force. Habileté tenant à une dense économie dramatique. Jeremy est le témoin hautement crédible de la rédemption du héros, mise en relief par le démarquage avec son alter ego Cole. Transformation conjurant d’autant le manichéisme, que le Mauvais est par ailleurs plutôt sympathique. Témoin digne de foi, Jeremy authentifie l’ascension morale du héros tout en étant bénéficiaire, puisqu’il en résulte un double mariage propice à la colonie. Comme si la boiteuse figure quaternaire initiale, deux repris de justice face à deux vierges, s'ajustait à la faveur de l'épreuve initiatique, moyennant quelque salutaire permutation grâce à une expulsion compensée par le parachutage d'un outsider.
Il y a donc incontestablement réussite au plan de la structure narrative, dont les transformations sont liées à l’enjeu éthique. Mais la filmicité n'est guère à la hauteur. Une encombrante musique redouble naïvement le moindre tic d’un lourd commentaire mimétique. Le cadrage est surexplicatif. Un haut mont neigeux de la chaîne des Cascades est invariablement collé dans les fonds sans égard aux aléas du champ visuel (cartepostalisme). Cole étant dos-caméra, une paire de plumes assassine surgissant derrière lui du bord inférieur terrorise les spectateurs dont l’âge mental supposé mérite des billets de faveur. On ne nous épargne aucune scène de genre : périlleuse traversée de gué, roue brisée par un cahot, avec gestes techniques de remise en état quelque peu emphatiques, participant quasiment d'une composition héroïque. Davantage, Jay C. Flippen, oui ! Le garde des Démons de la liberté (Dassin, 1947), le sergent Clancy des Diables de Guadalcanal (Ray, 1951), le shérif de L'Equipée sauvage (Benedek, 1953), en personne, a beau faire mouche à chaque coup, il ne sait visiblement pas tenir un fusil. Tireur d'élite comme ses pairs en considérant que l'ennemi en tombant ne manque jamais de porter la main à son cœur. Enfin, le manichéisme un moment conjuré fait retour sous la dégaine patibulaire des dockers. Tout cela allant dans le même sens de fausseté, discréditant la fiction.
Seuls les acteurs principaux, je veux dire les chevaux et les deux protagonistes masculins, font sous la direction de Mann du bon travail. Mais on ne le répétera jamais assez, l’acteur n’est qu’un accessoire, comme le savait déjà un Poudovkine il y a quelque soixante ans, ou plus récemment un Sternberg, fût-ce loin d'être un critère suffisant. Il serait donc souhaitable de prendre des distances avec tant de louanges décernées dans l’histoire de la critique à ce film, avec des formules passe-partout telle : "l'un des plus beaux westerns de l'histoire du cinéma". 29/10/08 Retour titres